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que nous présentions au nom de l’opinion publique n’a été accueilli par l’Institut ; c’est M. Berlioz qui a été nommé à la place laissée vacante par la mort de M. Adam, après quatre scrutins laborieux et à une seule voix de majorité ! Nous ne répéterons pas ici la phrase connue de Figaro : « Il fallait un musicien, c’est un journaliste qu’on a choisi. » Ce qui est évident pour tout le monde, c’est que la nomination de M. Berlioz, dont nous ne contestons pas l’intelligence, doit s’expliquer par des considérations qui ne relèvent pas toutes de l’art musical. Si l’école française avait été dirigée par un chef dévoué, à doctrines arrêtées, — Cherubini ou M. Ingres, par exemple, — jamais M. Berlioz n’eût franchi le seuil d’une institution dont il se raille de puis vingt-cinq ans. Personne ne se fait moins d’illusions que nous sur la valeur et l’utilité des académies en fait d’art. Les plus grands artistes du monde sont venus en pleine terre, comme des arbres vigoureux, et n’ont jamais appartenu à aucune corporation savante ; mais si l’Institut n’est pas le gardien jaloux de certains principes nécessaires pour lesquels il a été créé, il n’a plus de raison d’être. Ce qui nous sépare de M. Berlioz n’est point un accident de polémique ni une manière particulière d’envisager l’art musical, c’est l’art musical tout entier. Dans un de ces rares momens où les intérêts de sa position lui permettaient d’être sincère, M. Adam disait : « Quand j’entends de la musique de M. Berlioz, il me semble que j’assiste à une expérience d’acoustique. Il souffle dans toute sorte d’instrumens, non pas pour exprimer une idée, mais pour en éprouver la sonorité. » Le jugement est par fait, et nous n’avons rien à y ajouter. Quelques jours après la nomination de M. Berlioz, le moins innocent de ceux qui ont donné leur voix au symphoniste fantastique fut rencontré par un bon musicien, un de ces artistes naïfs qui s’imaginent qu’on entre à l’Institut comme on va en paradis, par la foi et les bonnes œuvres. « Est-il possible, dit ce brave homme, que M. Berlioz soit de l’Institut ? — Tout est possible ! » répondit le charmant compositeur, qui est de l’école politique de M. Scribe.


P. SCUDO.