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résultat de tenir plus étroitement liées l’Angleterre, la France et l’Autriche, particulièrement ces deux dernières puissances. Quelle était la portée de cette alliance ? quelle pouvait être la mesure de cette action collective dans les diverses questions encore aujourd’hui pendantes ? N’était-ce pas le point de départ possible d’une situation entièrement nouvelle ? Une fois dans cette voie, les conjectures ne s’arrêtaient pas facilement ; un autre traité secret existait indubitablement entre la France et l’Autriche ; les souverains des deux pays devaient, disait-on, avoir une entrevue dans une petite ville autrichienne, à Bregenz. On en était la lorsqu’une note du Moniteur est venue souffler sur l’édifice élevé par l’imagination, en annonçant que les deux empereurs n’avaient nullement le projet de se rencontrer à Bregenz. Ramenée à son vrai sens, la note officielle veut dire sans doute que la France et l’Autriche restent dans les termes où elles étaient, rapprochées sous beau coup de rapports, et réservant sous beaucoup d’autres la liberté de leur politique.

Cette alliance de la France et de l’Autriche et l’entrevue des deux souverains ont été en quelque sorte ces derniers jours le point fixe autour duquel ont tourné tous les commentaires de la presse européenne. Les conclusions qu’on en tirait, il est facile de les comprendre : c’est que les deux cabinets n’ont qu’une seule et même pensée sur les deux principales questions qui s’agitent aujourd’hui, la réorganisation des principautés en Orient et les affaires d’Italie dans l’Occident. Par le fait, rien n’est moins exact que cette intelligence complète et préalable des deux gouvernemens quant aux principautés, et la raison en est bien simple : le traité du 30 mars ajourne toute solution jusqu’au moment où le vœu des populations se sera manifesté. Ces populations n’ont point été rassemblées encore et n’ont pu exprimer leurs vœux ; la commission européenne envoyée à Bucharest n’a eu à prendre aucune délibération, et il ne peut exister un accord formé d’avance pour imposer une opinion. En prenant la question en elle-même, quelle est la pensée qui doit présider à la réorganisation des principautés ? C’est évidemment la pensée qui a dicté le traité de paix, et qui consiste à créer une force compacte et résistante entre la Russie et la Turquie. Dans ces conditions, n’est-il pas certain que la séparation des deux provinces ne fait qu’amener une déperdition de forces, tandis que leur réunion au contraire va droit au but que les puissances ont voulu atteindre ? Ce n’est nullement une question vidée, comme on l’a pensé ; elle subsiste tout entière.

D’où viennent les oppositions que rencontre cette réunion des principautés appelée par les vœux de tous les Moldo-Valaques ? Elles viennent de la Turquie et de l’Autriche. La Turquie voit dans une telle mesure l’affaiblissement de ses droits de suzeraineté. Les hommes d’état de Constantinople ont une inquiétude plus grande encore ; ils craignent qu’on n’ouvre en quelque sorte une plaie nouvelle au nord de l’empire ottoman, qu’on ne fasse en un mot une seconde Grèce. Il est aisé de voir ce qu’il y a de chimérique dans cette analogie. Sur la frontière hellénique, en effet, les populations sont de même race des deux côtés, en Grèce comme en Épire et en Thessalie ; les intérêts sont souvent confondus. Un village est sur un territoire, et les habitans de ce village ont des propriétés sur le territoire voisin. À l’intérêt