Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Vienne à Munich : j’irai des philosophes aux historiens et des historiens aux poètes. Quelle est donc, au début de la phase nouvelle inaugurée par le traité du 30 mars, la situation intellectuelle des peuples allemands? Quels sont les progrès qu’ils ont accomplis, les ressources dont ils disposent? De quel côté se dirige l’activité des esprits? Quelles tendances, et, comme disent nos voisins, quels signes du temps se manifestent dans l’empire des idées? Voilà les questions auxquelles je dois essayer de répondre, si je veux compléter mon enquête.

Je commencerai par la philosophie. Quand on veut connaître l’état intellectuel et moral d’un pays comme l’Allemagne, il n’y a pas de renseignemens plus lumineux que celui-là. La philosophie, malgré les désordres qui ont diminué son influence, est encore la clé de tous les mystères. Il est bien des pays où la science des premiers principes n’est qu’une étude accessoire, une affaire d’académie ou d’école; en Allemagne, tout dépend de là. L’histoire, la poésie, les arts, les sciences elles-mêmes reconnaissent cette suprématie. Sachez ce que pensent les métaphysiciens, étudiez le mouvement des écoles; vous serez introduit au centre même de la littérature germanique. Et s’il n’y a plus de maîtres qui gouvernent les esprits comme au temps de Kant et de Fichte, de Schelling et de Hegel, si les écoles sont dispersées, si le public n’accorde à leurs travaux qu’une attention distraite, cet effacement des sciences spéculatives est un symptôme qui éclairera pour vous la situation générale. Donnons donc à la philosophie, alors même qu’elle n’y prétendrait plus, la place éminente que lui assigne le caractère national; nous parlerons ensuite des recherches de l’histoire et des œuvres de l’imagination. L’histoire a été longtemps en Allemagne le domaine réservé des érudits; elle a pris depuis quelques années un développement inattendu, elle est devenue chez beaucoup d’écrivains une sorte de philosophie appliquée, et cette transformation est peut-être un des événemens les plus considérables de la période qui va se dérouler sous nos yeux. Quant à la poésie, et sous ce titre je comprendrai non-seulement les inspirations qui se traduisent en strophes ou en récits, mais les études psychologiques du roman et les vivantes peintures de la scène, elle a toujours trouvé en Allemagne un public empressé. Interprètes fidèles des sentimens du pays, la poésie, le roman et le théâtre ont exprimé à toutes les époques non pas certes la situation politique de l’Allemagne, mais les pensées secrètes qui l’agitaient et les consolations dont elle avait besoin. Si l’Allemagne s’endort dans le mysticisme, sa molle poésie est là pour l’accuser; si elle se relève, si elle souffre de son inaction et proteste au fond de son cœur contre la pusillanimité de ceux qui la gouvernent, des