Thouars reçut la mission de l’occuper. Il ne s’agissait nullement de Taïti dans ses instructions, et nous n’avions formé sur cette île, ni dans le présent, ni dans l’avenir, absolument aucun dessein. Quand nous apprîmes que, quatre mois après l’occupation des Marquises, l’amiral Dupetit-Thouars, à la suite d’incidens compliqués que je n’ai garde de reproduire ici, avait été amené à établir dans Taïti le protectorat français, nous prévîmes, non sans regret, qu’il en pourrait résulter dans nos rapports avec l’Angleterre quelques difficultés, mais nous ratifiâmes l’acte sans hésiter. De toutes nos raisons, je n’en rappelle qu’une, la raison décisive : le drapeau français venait d’être planté dans l’Océanie ; nous ne voulûmes pas qu’au moment même de son apparition il y reculât. Nous ne portions atteinte aux droits ni même aux prétentions d’aucun état ; le traité conclu par l’amiral Dupetit-Thouars, en établissant le protectorat, respectait la souveraineté et les droits intérieurs de la reine de Taïti. Nous dîmes hautement les motifs et les limites de notre résolution. Le cabinet anglais les comprit, et ne réclama point. Nous comprîmes à notre tour son déplaisir et ses embarras, et nous nous promîmes mutuellement la prudence et les ménagemens que se doivent, dans les affaires à la fois petites et délicates, de grands gouvernemens qui ne veulent ni faiblir l’un devant l’autre, ni se brouiller pour des misères.
Je dis des misères, et en maintenant ce mot, je l’explique je ne voudrais, à aucun prix, être soupçonné de méconnaître la grandeur des intérêts et des sentimens engagés dans cette question, des intérêts et des sentimens chrétiens. Protestant et ministre d’un roi catholique dans un pays de liberté religieuse, mais essentiellement catholique, je n’ai jamais cherché à surmonter les difficultés de cette situation qu’en l’acceptant tout entière, et en en remplissant tous les devoirs divers, mais, à mon sens, point opposés. J’ai gardé hautement ma foi en servant la politique de mon pays ; j’ai soutenu librement la politique de mon pays en gardant ma foi. Dans l’affaire de Taïti, l’épreuve était, pour moi, délicate : le catholicisme, le protestantisme et la politique étaient là en présence ; je me permettrai de rappeler textuellement ici quels principes j’ai invoqués pour concilier leurs droits, non pas après coup, mais au moment même de l’épreuve et pendant le combat : « Ce serait, disais-je le 10 juin 1843 et le 1er mars 1844 dans la chambre des députés, ce serait pour un gouvernement une entreprise insensée, je ne veux pas dire autre chose, que de se charger de faire de la propagande religieuse et d’imposer sa religion par la force, même aux païens… l’Angleterre ne le fait point. Il y a des missionnaires anglais uniquement préoccupés du désir de répandre le christianisme, et qui, spontanément, librement, à leurs risques et périls, sans aucune intervention du