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est éternelle, lorsqu’on peut dire de lui après sa mort : Il a donné à l’art plus que l’art ne lui a donné. » M. Bodenstedt n’a pas été vaincu; que ce début l’encourage, qu’il continue de mettre son inspiration au service des vérités morales, et le théâtre de Schiller comptera un poète de plus.

Un écrivain qui connaît bien la Russie et qui est avec M. Bodenstedt un des interprètes de la littérature moscovite, M. Wilhelm Wolfsohn, a donné récemment deux drames (le Tsar et le Paysan, — Rien qu’une âme, nur eine Seele), où certains aspects de la société russe paraissent étudiés avec soin; seulement il faut engager M. Wolfsohn à se défier des intrigues romanesques; l’étude de l’histoire fortifiera les qualités de son esprit. M. Wolfsohn est un disciple de Lessing, il fera bien d’emprunter à son maître quelque chose de sa sévérité et de sa force. Je parle à un esprit droit, à un littérateur consciencieux; je n’aurais pas mentionné ici mon opinion sur M. Wolfsohn, si je n’étais assuré d’avance qu’il comprendra mes avis. Pourquoi ne puis-je exprimer la même confiance à propos de M. Charles Gutzkow? M. Charles Gutzkow est certainement une intelligence très active; voilà plus de quinze ans qu’il travaille à ranimer la scène allemande, il y a déployé toutes ses ressources, et la série déjà longue de ses œuvres dramatiques n’offre qu’un petit nombre de succès. A côté de la spirituelle comédie la Queue et l’Épée, à côté de l’intéressant drame intitulé Uriel Acosta, combien d’œuvres absolument mauvaises! La subtilité, la prétention, voilà le mal de M. Gutzkow, qui retrouverait son talent, s’il voulait être simple. Ella Rose, le dernier drame de M. Gutzkow, reproduit tous les défauts qui déparent Werner et une Feuille blanche[1]. C’est une longue histoire psychologique, très bizarre, très subtile, et qui finit par des situations complètement inintelligibles. Le dialogue est souvent spirituel, mais les personnages n’habitent pas le même monde que nous; on dirait une famille de somnambules. Que M. Gutzkow relise son Uriel Acosta et qu’il le compare à Ella Rose; il verra ce qu’il peut faire en osant être vrai.

La comédie est toujours la partie faible de la littérature dramatique en Allemagne. Ce n’est pas que les sujets manquent, ni que les ridicules soient moins visibles à Vienne et à Berlin, à Dresde et à Munich, que dans le tumulte de la vie parisienne. Serait-ce que l’esprit allemand est trop grave, qu’il manque de finesse dans l’observation de la réalité, que sa plaisanterie tourne naturellement à l’humour? Il est certain que la comédie allemande n’a guère su trouver le milieu entre les subtilités de la raillerie humoristique et la bonhomie vulgaire des poètes bourgeois. Les comédies de Tieck

  1. Voyez sur M. Gutzkow, dans la Revue du 1er octobre 1847, le Théâtre moderne en Allemagne.