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montrant quelle gloire ce serait pour l’Angleterre de donner ses institutions à tous les peuples du Midi. Les orateurs qui se succédèrent à la tribune parlèrent dans le même esprit, mais chacun à son point de vue particulier. Le révérend Annesley et l’honorable Granby ne voyaient dans la péninsule qu’un vaste marché, l’un pour ses bibles, l’autre pour ses cotonnades. Tout se rattachait pour eux aux intérêts anglais. — Et l’Italie? se disait Maxime. Il se rappelait alors ces vers mystérieux de Dante appelant le libérateur inconnu qui doit « chasser la louve ennemie de ville en ville. Celui-là ne se nourrira ni de terre ni d’or, mais de vertu, de sagesse et d’amour. Il sera le salut de cette humble Italie, pour laquelle la vierge Camille, Euryale, Turnus et Nisus sont morts de leurs blessures... »

Aucun des orateurs ne manquait de proposer des systèmes pour relever les Italiens de leur abjection, de leur avilissement séculaire : c’étaient les termes qu’ils employaient. Maxime les écoutait avec colère. L’injurieuse prétention que s’arrogeait cette race superbe l’indigna; il s’approcha de Ferletti, et lui dit impérieusement : Vous êtes quelque chose ici, allez-vous tolérer plus longtemps ce langage? — Laissez-les dire, patience, patience! répondit Ferletti; laissez faire, nous serons toujours plus fins qu’eux.

Il parlait ainsi avec une foi à la ruse si vive, si naturelle, si sûre d’elle-même ! Je répète les paroles, mais comment rendre la voix, le geste, le sourire, cette voix fine, et mordante et subtile, et cette mimique passionnée, d’une si rare souplesse? Maxime monta à la tribune. Il rappela ce qu’il avait entendu quelques mois plus tôt dans une assemblée où l’on demandait des fonds pour évangéliser une île de la Polynésie. L’orateur avait eu un grand succès en démontrant quels avantages résulteraient pour le commerce national, si ces sauvages, qui vivaient tout nus, se soumettaient aux lois de la pudeur chrétienne. Quel débouché ce serait pour les percales anglaises! Ces remerciemens ironiques furent d’abord pris très au sérieux; mais Maxime eut l’imprudence de s’y arrêter trop longtemps, et l’amertume de ses paroles le trahissant, on pénétra bientôt le fond de sa pensée. Il fut sifflé, hué, chassé de la tribune, et sans l’intervention de Ferletti on lui aurait fait un très mauvais parti.

Sir John revint à Saint-Alban, accompagné de Ferletti et très mécontent de son gendre. Lorsqu’on eut raconté l’affaire dans la famille, tout le monde se tourna contre Maxime; miss Sarah était consternée. Le bon Girolet essaya de ramener la paix en expliquant l’incartade de Maxime par le peu d’habitude qu’il avait de la langue anglaise, et Ferletti lui vint très gracieusement en aide. C’était la troisième fois qu’il se permettait de prendre Maxime sous sa protection. Il était très aimé à Saint-Alban, il plaisait beaucoup à ces gens graves par ses manières vives et turbulentes; il les réjouissait par ses