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à Papeiti, crut indispensable de faire brusquement arrêter M. Pritchard, et de l’enfermer dans un blockhaus, au secret. Rentré à Papeiti quelques jours après, M. Bruat, en rendant compte de cet incident, le 21 mars, au ministre de la marine, lui disait : « Dans l’agitation où se trouvait le pays, cette mesure était nécessaire ; mais je n’ai dû approuver ni la forme ni le motif de l’arrestation. Cependant la gravité des événemens était telle que je ne pouvais revenir sur ce qui avait été fait sans décourager notre parti et raffermir les révoltés. À mon arrivée, j’ai tout de suite fait transférer M. Pritchard du blockhaus à bord de la Meurthe, en donnant au commandant Guillevin l’ordre de le recevoir à sa table… J’ai écrit aussi au capitaine anglais du Cormoran pour l’engager à quitter Papeiti, où il n’avait aucune mission, et à emmener M. Pritchard, que j’ai promis de mettre à sa disposition dès que le bâtiment quitterait le port. »

Quand M. Pritchard arriva le 26 juillet en Angleterre, racontant lui-même son arrestation et probablement en atténuant les causes, mais non pas les ennuis, tous les sentimens suscités depuis l’origine de l’affaire de Taïti, et qui jusque-là s’étaient un peu contenus, firent explosion dans les clubs, dans les journaux, dans les salons, dans les chambres. Interpellé le 31 juillet par sir Charles Napier, sir Robert Peel répondit sur-le-champ, du moins selon le compte-rendu des journaux : « Nous avons reçu des rapports de Taïti, et comptant sur l’exactitude de ces rapports, que je n’ai aucune raison de mettre en doute, je n’hésite pas à dire qu’un grossier outrage, accompagné d’une grossière indignité, a été commis sur le consul britannique dans cette île. Le gouvernement de sa majesté a reçu cette nouvelle lundi, et nous avons saisi la première occasion pour faire au gouvernement français les communications que nous jugions commandées par les circonstances… Présumant que les nouvelles sont exactes, je pense que le gouvernement français fera la réparation que nous croyons que l’Angleterre a droit de demander. »

À la lecture des journaux qui rapportaient ces paroles, ma surprise fut grande et l’émotion dans nos chambres très vive. Nous n’avions reçu du gouvernement anglais aucune communication ; au moment où sir Robert Peel avait parlé, nous ne lui en avions encore fait aucune ; ni de part ni d’autre les faits n’avaient été examinés et contrôlés : comment avait-il pu s’exprimer avec une âpreté si précipitée et si inexacte ? Interpellé à mon tour dans l’une et l’autre chambre, je résolus de rester dans la plus complète réserve. « Il y a ici, répondis-je, des questions de fait et de droit à éclaircir entre les deux gouvernemens. Les questions de politique extérieure ont des phases diverses, et elles ne sauraient, à toutes ces phases indifféremment, entrer dans cette chambre. La porte ne leur en doit pas