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— Hélas! je suis guéri, répondit tristement Maxime.

Il disait vrai; il était guéri, bien guéri. Olivia n’avait plus rien à craindre de Maxime, Maxime ne l’aimait plus. Il avait mis plus haut son espérance.

Le lendemain, dès le matin, le comte Alghiera s’embarquait à Brighton sur l’American. En recevant sa lettre, Girolet était parti en toute hâte, avec l’espoir d’arriver à temps et de ramener Maxime à Saint-Alban. Lorsqu’il descendit sur le port, on lui apprit que l’American venait de lever l’ancre. Il courut sur la jetée et vit passer devant lui le steamer. Maxime était assis à l’arrière. Ils se reconnurent, et de loin se dirent adieu. L’American entra en mer, et un coup de vent chassa devant eux des tourbillons de fumée; ils ne devaient plus se revoir.

Le comte Maxime avait dit un éternel adieu à l’Angleterre. Une vie nouvelle commençait pour lui. Il allait à l’inconnu. Du passé, il ne laissait rien derrière ses pas : fortune, amour, illusions de jeunesse, il avait tout perdu, il renonçait atout; mais il emportait avec lui l’inestimable richesse : son âme était libre. Le sentiment italien se réveillait en lui, plus ardent encore et plus passionné, mais détaché de tout égoïsme. Sans agitations, sans haine, sans vaines colères, il épousait résolument la pauvreté, l’exil. Ce grand travail qui doit se faire dans l’âme italienne, il le commençait sur lui-même, hardiment et durement, sans faiblesse, et, jetant un regard sévère sur son passé, portant en lui tous les péchés de sa race, il se disait avec une virile tristesse : « Tout nous trompe, tout nous échappe. Tirons notre force de cette extrême misère. Etions-nous dignes de la victoire? Sommes-nous prêts? Cette unité que nous rêvons pour notre patrie, est-elle fondée en nous? Avons-nous édifié dans nos âmes la cité nouvelle? » Il se préparait ainsi à ces grands sacrifices qui seront demandés à la race de l’avenir. Ces pensées l’animaient d’un noble courage lorsqu’il se sépara à jamais d’Olivia; elles le soutinrent au milieu des épreuves de la vie errante qui commença pour lui le jour même où il dit adieu à l’Angleterre. Sans patrie, sans famille, le comte Maxime pouvait tendre la main désormais à ces mille victimes des crises politiques de notre siècle qui portent sur tous les rivages le deuil d’une nation vaincue et le mystique espoir de destinées meilleures. Combien de temps durera son attente? Et cette existence condamnée s’éteindra-t-elle dans l’isolement? Qui peut le dire? C’est le secret des solitudes américaines, où le comte Maxime a cherché un refuge, sans renier ses espérances, dût-il tomber avant l’heure sur la voie douloureuse qui s’est ouverte pour le salut de l’Italie.


JULES DE LA MADELENE.