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crédules. Cette trop célèbre parole : « La Méditerranée doit être un lac français, » troublait en Angleterre beaucoup d’esprits. Quand ils virent une armée française, sous les ordres du gouverneur général de l’Algérie, entrer dans le Maroc, et une escadre française, commandée par un fils du roi, paraître devant Tanger, l’inquiétude fut grande, et sir Robert Peel, toujours très attentif aux impressions publiques, s’en préoccupa vivement. Des instructions pressantes partirent de Londres, ordonnant au consul-général anglais à Tanger de peser de tout le poids de l’Angleterre sur l’empereur du Maroc pour qu’il fît droit aux réclamations de la France et arrêtât le cours de la guerre. Le cabinet anglais aurait, au fond, désiré que nous lui laissassions le soin de nous faire obtenir la justice que nous demandions, et il ne s’y fût pas épargné ; mais il nous convenait de prouver au Maroc notre force, en nous faisant justice nous-mêmes. Autant nous souhaitions peu défaire en Afrique de nouvelles conquêtes, autant nous étions décidés à mettre celles que nous y possédions hors de page, en n’admettant pas que personne vînt nous y troubler, ni que nous eussions besoin d’aucun appui étranger. M. le prince de Joinville, en frappant, dans l’espace de dix jours, les deux principales villes du Maroc sur ses côtes, Tanger et Mogador, et le maréchal Bugeaud, en dispersant d’un seul coup l’armée marocaine sur les rives de l’Isly, portèrent rapidement la politique française au but qu’elle se proposait. M. le prince de Joinville accomplit l’œuvre avec autant de sagacité que de prudence, en prenant sur lui d’engager sur-le-champ la négociation de la paix aussi résolument qu’il avait poussé la guerre, et la question du Maroc fut vidée, sans que notre bonne entente avec l’Angleterre en reçût aucune atteinte, sous les yeux de ses marins et au milieu des allées et venues de ses agens, empressés de nous prêter leurs bons offices, que nous acceptions volontiers en pouvant nous en passer.

L’Europe chrétienne a raison de ne pas vouloir qu’aucune ambition particulière précipite la chute de ces états musulmans délabrés qui languissent et tombent en ruine à ses portes. Les intérêts de l’ordre européen passent avant toute question d’avenir, et il ne convient pas à la politique de justice et de paix de donner, même envers la barbarie et le chaos, l’exemple de la violence astucieuse ou agressive. Cependant la Providence a des décrets visibles, et c’est notre droit de les pressentir et de nous y tenir prêts, si nous n’avons pas celui de les hâter dans un dessein égoïste. Les Turcs sortiront d’Europe. Les Barbaresques perdront ce qui leur reste d’empire dans le nord de l’Afrique, à l’est et à l’ouest de ce qu’ils ont déjà perdu. La foi et la civilisation chrétiennes ne renonceront point à leur vertu expansive. À quel moment et par quelles combinaisons rentreront-elles en possession de ces belles contrées qu’elles serrent