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la couronne comme les ministres gouvernent aujourd’hui le parlement. Un mot, un petit mot, qui échappa à ce ministre, causa sa ruine ; le pouvoir de Wolsey ne survécut pas longtemps à cette expression : « Moi et mon roi. » L’influence de l’honorable baronet pourrait bien ne pas survivre longtemps à l’usage trop fréquent de sa phrase favorite : « Moi et mon parti. » On a évidemment compté que les honorables membres élus à cette chambre à cause de leurs principes favorables au système protecteur suivraient partout leur chef ; on y a compté à ce point qu’ils ont été amenés à la chambre des communes, comme nous y sommes venus mardi dernier, sans qu’on leur eût même fait une politesse qu’ils recevaient autrefois quand on avait à leur faire des propositions d’une bien moindre importance, la politesse de leur donner quelque légère idée de la mesure qui devait être soumise au parlement. Il n’y a pas longtemps encore qu’on observait envers nous cette courtoisie ; j’ai été l’un des membres qui, en 1841, ont été appelés à savoir quelque chose de ce qui devait prendre place dans l’adresse ; mais aujourd’hui un changement complet dans tout le système commercial de l’empire a été proposé ici sans que le moindre vent en fût venu jusqu’à nous, sans que nous sussions un mot de ce qui nous attendait, comme s’il se fût agi d’une bulle de savon ou d’une morsure de puce. Voilà ce qu’on appelle la vraie politique conservatrice ! »

Ainsi éclataient les inconvéniens du caractère de sir Robert Peel, et de ses façons d’être et d’agir, comme chef de parti, dans un régime libre. Ce politique si judicieux, ce tacticien si habile, ce financier consommé, ce raisonneur merveilleusement instruit des faits, cet orateur souvent si éloquent et toujours si puissant ne savait pas vivre intimement avec son parti, y faire pénétrer d’avance ses idées, l’animer de son esprit, l’associer à ses desseins comme à ses succès, au travail de sa pensée comme aux chances de sa fortune. 11 était froid, taciturne, solitaire au milieu de son armée, presque au sein de son état-major même. C’était sa maxime qu’il valait mieux faire des concessions à ses adversaires qu’à ses amis. Le jour vint où il eut à demander à ses amis de grandes concessions, non pour lui-même, qui n’en cherchait point, mais pour l’intérêt public, qu’il avait fortement à cœur. Il les trouva froids à leur tour, point préparés, étrangers aux transformations qu’il avait lui-même subies. Il fut hors d’état de les leur faire partager, et de les amener à une transaction nécessaire. Il avait combattu dix ans comme chef d’opposition et cinq ans comme chef de gouvernement à la tête du parti conservateur. Sur 360 membres qui s’étaient rangés autour de lui en 1841, à l’ouverture du parlement, à grand’peine en décida-t-il 112 à voter avec lui en 1846, dans la question à laquelle il avait lié son sort.

Mais à Dieu ne plaise que j’impute aux seules imperfections d’un