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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/600

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ce titre que les conceptions les plus hasardeuses méritent d’être notées, lors même que le succès ne viendrait pas les couronner, ou que la réalisation n’en pourrait jamais être tentée.

Parmi les entreprises de cette nature, la plus hardie que nous connaissions est un projet de communication par chemin de fer entre l’Océan-Atlantique et l’Océan-Pacifique, à travers l’immense étendue du continent américain. Le chemin projeté franchirait les Montagnes-Rocheuses pour aboutir à l’Orégon ou à la Californie. Il ne s’agit plus seulement, comme à Suez ou à Panama, de creuser un court sillon sur l’étroite langue de terre qui sépare deux mers ; le chemin de fer du Pacifique, comme on l’appelle déjà aux États-Unis, n’est pas un simple expédient destiné à abréger une distance, c’est la conquête d’un continent tout entier, un champ sans limites ouvert à l’émigration, — la civilisation pénétrant dans d’immenses régions inoccupées. C’est la première artère d’un empire baigné par les deux océans, et dont nul ne peut prévoir les futures destinées. Les chemins de fer actuellement construits dans les États-Unis ne dépassent pas encore le Mississipi, et il suffit de jeter les yeux sur une carte pour juger de l’énorme distance qui sépare ce fleuve des côtes de la Californie. Traverser, sur une longueur de sept ou huit cents lieues, des contrées à peine connues, franchir des prairies, des fleuves, des chaînes de montagnes, des déserts, il y a là de quoi effrayer les plus osés. Si ce projet n’était qu’un rêve éclos dans une imagination oisive, on ne serait guère tenté de s’en occuper ; mais il a été adopté par le gouvernement des États-Unis. De nombreuses expéditions ont été organisées pour étudier les meilleurs tracés ; des sommes très considérables ont été dépensées pour explorer l’intérieur du continent. Le chemin de fer sera-t-il exécuté par le gouvernement ou par des compagnies particulières ? passera-t-il sur tel ou tel parallèle ? sera-t-il au nord ? sera-t-il au sud ? Voilà les questions qui se traitent partout, qui occupent le congrès, la presse américaine, et qui fournissent déjà un aliment irritant aux ambitions et aux rivalités des partis.

L’audace d’une pareille entreprise est en partie justifiée par l’histoire même du développement des États-Unis. L’accroissement inoui de la confédération est bien fait pour inspirer à ceux qui en sont les témoins, et se sentent eux-mêmes entraînés sur ce grand courant de fortune et de prospérité générales, une confiance qui devient facilement excessive. Les premiers colons qui descendirent sur les rochers de Plymouth et s’établirent sur les rives de l’Atlantique ne prévoyaient pas sans doute avec quelle rapidité tout le territoire compris entre la mer et les Alleghanys serait un jour envahi. Plus tard, les pionniers aventureux qui, du sommet des dernières crêtes de