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traînées par des mulets et recouvertes d’un berceau en toile, puis la troupe des cavaliers qui dirigent la marche. On campe deux heures avant le coucher du soleil : les voitures sont disposées en cercle pour former une sorte de barricade; on plante les tentes à l’intérieur de cette enceinte; les bœufs, les chevaux sont mis en liberté, et l’on prépare la cuisine du soir. A la tombée de la nuit, on attache les animaux. Quand il y a des Indiens hostiles dans le voisinage, quelques hommes qui se relaient montent la garde toute la nuit. Au retour du soleil, on lève le camp et on laisse paître les animaux. On déjeune ordinairement entre cinq et six heures, puis l’on reprend la marche pour toute la journée, sauf une halte d’une ou deux heures vers midi.

Les incidens de cette vie régulière ne sont pas nombreux; tantôt c’est le spectacle lointain d’un incendie dans la prairie qui couvre l’horizon d’un nuage de fumée, tantôt la rencontre de quelque trappeur ou la vue d’un cavalier indien qui passe au loin, rapide comme un trait, quelquefois la traversée d’un bras de rivière. Quand le cours d’eau n’est pas guéable, les animaux passent à la nage, mais il faut démembrer les voitures : on les charge dans un canot de caoutchouc; un bon nageur prend dans ses dents la corde attachée au canot, et en plusieurs voyages il a tout passé de l’autre côté.

Quand on arrive dans les régions habitées par les bisons, la chasse devient une des principales occupations des voyageurs. « L’Indien et le bison, dit Frémont, sont la poésie de la prairie. » Laissons-le raconter lui-même l’impression qu’on éprouve pour la première fois à la rencontre de ces immenses troupeaux : « A la vue de cette mer animée, le voyageur ressent une étrange impression de grandeur. Nous avions entendu de loin un murmure sourd et confus, et quand nous arrivâmes devant cette sombre masse, il n’y eut pas un seul de nous qui ne sentît son cœur battre plus vite. C’était le matin : les bisons prenaient leur nourriture, et tout était en mouvement. Cà et là, l’un d’eux se roulait dans l’herbe, et des nuages de poussière se soulevaient en divers points, — chacun théâtre d’une lutte obstinée. »

Après avoir quitté Saint-Louis, Frémont avait passé la rivière Kansas, un des affluens de la Nebraska; il suivit d’abord la route ordinaire des émigrans qui se dirigent vers l’Orégon, si l’on peut donner le nom de route à une ligne qui traverse les prairies, seulement reconnaissable parce que les herbes y sont moins touffues, et à peine tracée dans les sables rouges aux approches des Montagnes-Rocheuses. Plusieurs familles se réunissent ordinairement en caravane pour traverser ces territoires indiens, sous la conduite d’un agent de l’émigration ou du gouvernement : elles emmènent leurs