Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crêtes fuyant les unes derrière les autres, des vallées sauvages, des lacs enfermés dans des bassins élevés, une multitude de torrens, dont les filets d’argent se dessinaient dans la sombre masse des rochers. Frémont, pressé par la faim, quitta pourtant à regret ce magnifique spectacle; il alla retrouver le gros de l’expédition, et retourna vers la Nebraska. Cette fois il descendit le fleuve en canot, et réussit à franchir heureusement trois rapides, grâce à l’élasticité de son embarcation, faite en caoutchouc; ces rapides sont encaissés entre des précipices élevés. On les désigne communément aux États-Unis sous le nom mexicain de cañon. Ces rapides embarrassent le cours de tous les fleuves de cette partie occidentale de l’Amérique et du Mexique, souvent ils sont très longs et très dangereux à franchir à cause de la rapidité du courant et des rochers qui encombrent le lit.

La fin de ce premier voyage de Frémont ne fut signalée par aucun incident remarquable; il descendit le cours de la Nebraska, et revint à Saint-Louis par le Missouri.

Dès l’année suivante, en 1843, le hardi lieutenant fut chargé d’explorer l’Orégon et la Californie; il partit avec trente hommes, remonta le Kansas et la rivière qu’on nomme Républicaine; il traversa rapidement la fertile et belle contrée qu’arrose cette rivière. Comme dans la vallée de la Nebraska, il vit le sol, d’abord fertile, devenir sablonneux et se couvrir de plantes aromatiques ; on ne rencontra bientôt plus d’autres arbres que quelques cotonniers, qui suivent la ligne des vallons. Le cotonnier est l’arbre du désert américain; il est précieux pour le voyageur, à qui il sert de combustible et indique de loin la place où il trouvera de l’eau. Le premier échelon par où, sur la route suivie par Frémont en 1843, l’on gravit les Montagnes-Rocheuses est une immense prairie élevée, coupée par des torrens profonds; à l’horizon, on aperçoit la bordure sombre des forêts qui couvrent les flancs de la chaîne, et au-dessus la ligne blanche des neiges. Frémont dépassa bientôt la rivière Républicaine, visita les branches supérieures de l’Arkansas, et remonta vers le Col du Sud, en suivant des plateaux montagneux, déchirés, découpés en tous sens et couverts de petits lacs. Dans ce voyage, il franchit le célèbre col, et se dirigea vers le bassin du Grand-Lac-Salé. A l’époque où il les visitait pour la première fois, ces régions, aujourd’hui peuplées et devenues le refuge écarté d’une colonie religieuse, n’étaient connues que de quelques vieux trappeurs, qui avaient propagé les contes les plus étranges sur les merveilles de la mer intérieure. Frémont, en s’en rapprochant, subissait malgré lui la vague influence de ces récits populaires. Partout la contrée qu’on traversait présentait des traces d’une ancienne activité volcanique, nappes de basalte, sources d’eau chaude, sources gazeuses, que les voyageurs