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mouvement légitime, de nobles pensées, une ambition généreuse, puis des passions sans frein, le dérèglement, point de respect hormis pour la force, pas d’autres scrupules que ceux qui viennent de la faiblesse, tout ce qu’il y aura de louable dans l’entreprise tournera au discrédit du régime contre lequel elle a été dirigée; tout ce qui aura manqué en vertus publiques à la nation ne sera pas à la louange des institutions et des pouvoirs séculaires à l’ombre desquels elle se sera formée. De quelque manière qu’on se prononce sur le plus grand événement du siècle, ce qui l’a précédé ne pourra donc sortir avec succès de l’épreuve d’un sérieux examen, et quand même la révolution n’aurait pas eu raison, la contre-révolution aura toujours tort.

Ce qu’il y a de grave en cela, c’est qu’on est bientôt forcé de porter un œil sévère sur toute l’histoire de France. L’appréciation du résultat final réagit nécessairement sur les antécédens, et l’on ne peut plus souscrire sans réserve à cet optimisme historique mis en honneur par de grandes autorités. Déjà, dans ce recueil, on a pu lire en ce sens des observations qui ne cadraient pas avec certaines opinions fort accrédités. Lorsque M. Albert de Broglie, M. Quinet et moi, nous avons présenté nos doutes sur l’excellence du système qu’on avait tenté de construire à l’honneur des destinées de la société française, nos doutes ont contristé, je le sais, le grand historien que la France vient de perdre. M. Augustin Thierry n’aurait pu sans regret voir ébranlée la théorie qu’il a si habilement exposée, et qui, sacrifiant résolument l’ordre politique à l’ordre social, trouvait bon que la France eût passé par des siècles de mauvais gouvernement, pourvu qu’elle eût marché sans interruption à la réalisation de l’égalité. J’admirais M. Thierry, et tiens qu’il doit rester au premier rang des écrivains dont notre patrie est fière; mais quelque admiration qu’inspire l’alliance originale d’une érudition exacte et d’une forte imagination, on ne peut altérer la vérité et risquer de tromper son pays par ménagement pour un beau système et par égard pour un grand talent.

Toutes les grandes nations chrétiennes de l’Europe ont été envahies à une certaine époque par des armées et des tribus germaniques. Ces étrangers ne se sont ni retirés après la conquête ni perdus dans le sein des peuples conquis. Leur arrivée, leur présence, leur établissement a été presque en tout pays la dernière révolution ethnographique, la dernière mutation dans les élémens de la composition sociale que chaque peuple ait subie; de là est provenue partout une certaine inégalité fondamentale; de là tout ce qu’il y a eu d’aristocratie durable dans les sociétés du moyen âge. Depuis lors, rien n’est plus venu renforcer dans le sein d’aucun peuple l’élément aristocratique, et tout par conséquent a dû tendre à