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sa propre incompétence; le 19 novembre, votre majesté annonce elle-même les états-généraux; le surlendemain, elle les promet, elle en fixe le terme, sa parole est sacrée. Qu’on trouve sur la terre, qu’on cherche dans l’histoire un seul empire où le roi et la nation aient fait paisiblement d’aussi grands pas, le roi vers la justice, la nation vers la liberté!... Sire, point d’aristocratie en France, mais point de despotisme. » Et ces paroles exprimaient la pensée de la France entière. On sait quel noble signal partit des rangs de la noblesse. Cette même assemblée du clergé, tout à l’heure si effrayée des révolutions futures, comment jugeait-elle du gouvernement du pays? « Sans les assemblées nationales, disait-elle alors, le bien du règne le plus long ne peut être qu’un bien passager, la prospérité repose sur une seule tête. Dans notre antique monarchie, qu’avons-nous à citer? Quelques hommes et quelques années éparses, et quand il s’agit d’empires et de siècles, que sont quelques hommes et quelques années (25 juin 1788)? » Ainsi, il n’y avait point à s’y méprendre, ce que voulait le clergé même, c’était la réforme permanente de notre antique monarchie. Qu’on juge par-là du reste de la nation. Une société uniforme manifestait une opinion universelle.

Aussi comparez les états-généraux de 1789 aux derniers états-généraux, à ceux de 1614. En 1614, quelle discordance de langage! quelle guerre civile dans les sentimens ! Le tiers-état s’étant hasardé à dire que les trois ordres étaient frères : « En quelle misérable condition sommes-nous tombés, si cette parole est véritable! » s’écriait la noblesse. Aujourd’hui, en 1789, tout est changé, l’unité a fait de grands pas; les principes sont les mêmes là où les souvenirs et peut-être les intérêts diffèrent. Tout le monde n’a qu’un langage, et pendant un moment on a pu croire que roi et nation allaient se mouvoir comme un seul homme.

On sait ce qu’il en est advenu. Ces espérances se sont dissipées en un clin d’œil. Jamais discordes plus violentes, jamais représailles plus sanglantes, jamais plus féroces vengeances n’ont attesté les maux, les passions et les vices que peuvent accumuler au fond d’une nation des siècles de mauvais gouvernement. De tristes et profondes causes ne permirent pas que la révolution entreprise au nom de la justice et de l’humanité s’accomplît par la justice et l’humanité. Non que l’effet de ces causes fût inévitable; jamais je ne conviendrai qu’une réformation plus paisible et phis régulière fût impraticable; jamais je ne dirai d’une chose raisonnable qu’elle soit impossible. Les hommes ont pu toujours être plus sages qu’ils n’ont été : des incidens favorables pouvaient survenir, des individus supérieurs pouvaient paraître; mais les événemens étant donnés, la nation de l’ancien régime devait être la nation de la révolution, et, pour