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de la révolution, de ne pas trouver quelque vérité dans cette pensée d’un Anglais : « Si, comme le dit Homère, l’homme perd dans l’esclavage la moitié de sa vertu, l’homme qui brise son esclavage perd l’autre moitié! »

M. de Tocqueville décrit en perfection cette société qui n’avait jamais fait ses affaires elle-même, conduite par la main de son gouvernement à la nécessité de faire elle-même la plus grande de toutes les affaires, celle de se donner une législation civile et une législation politique, celle de se constituer et de constituer un gouvernement. Elle trouvait pour cela un instrument tout fait, la centralisation. Elle n’eut qu’à s’en saisir, et c’était en effet un engin merveilleux pour tout créer, tout, — excepté la liberté peut-être. C’est par la centralisation que quiconque prend Paris, quel qu’il soit, eût-il nom Blücher, prend la France. C’est par elle, c’est grâce aux mœurs et aux caractères qu’elle produit ou qu’elle entretient, cette centralisation, œuvre finale de l’histoire de la France, qu’un profond politique[1] a pu dire de la révolution, même à une de ses bonnes époques, qu’elle avait fait la France libre par les lois, esclave par l’administration. M. de Tocqueville amende judicieusement le second point, et prouve que la révolution n’a fait en cela que laisser la France comme elle l’avait trouvée.

On entrevoit des conséquences innombrables. Laissons-les entrevoir, et attendons pour les mettre en pleine lumière que l’éminent publiciste nous les montre dans la clarté de son noble esprit. Nous avons un peu anticipé sur l’ouvrage qui lui reste à faire, et qu’il promet à notre impatience, car il a réservé la révolution et n’a encore traité que de l’ancien régime. Il l’a présenté sous un aspect nouveau, mais vrai, et qui n’avait eu jamais autant besoin d’être connu. C’était le moment de désabuser à toujours les esprits de ces illusions rétrospectives qui par lassitude et découragement les reportent quelquefois vers le passé et le leur retracent sous un jour mensonger. Il importait de leur apprendre une fois pour toutes par quelle lente décadence, par quels maux invétérés l’édifice du passé avait dû périr, et non par une brusque fantaisie d’une nation mobile et trompée. Il était bon à tout le monde de savoir que bien des vices du temps viennent de loin, et qu’au lieu d’être nouveaux, ils ont pour cause l’impuissance où s’est trouvée la révolution d’innover en tout. Enfin il fallait sur toutes choses répéter l’éternelle leçon qui montre la question morale au fond de la question politique. Événemens et lois, institutions et révolutions, tout cela est peu, et bientôt tout cela n’est rien, si les nations n’ont le cœur au niveau

  1. M. Royer-Collard.