Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/676

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mens qui une fois de plus ont ensanglanté la Péninsule. En peu de jours, le ministère s’est complètement transformé et s’est recomposé sous l’autorité du général O’Donnell, à l’exclusion d’Espartero. La guerre civile s’est montrée de nouveau dans les rues de Madrid et de Barcelone. Le drapeau de la résistance au ministère du comte de Lucena a été levé dans l’Aragon, à Saragosse, et il n’est point abattu encore. Une multitude de villes se sont prononcées aussitôt par habitude ou par entraînement. Il reste à se demander quelle sera la situation politique de la Péninsule à l’issue de cette crise, dont l’heure pouvait être incertaine, mais qui au fond n’avait rien d’imprévu.

Depuis quelque temps surtout, la lutte devenait chaque jour plus imminente. Elle était inévitable, parce que les cortés n’avaient de force que pour neutraliser toute politique nette et vigoureuse, parce que, dans le ministère lui-même, le moindre fait, le plus petit acte de gouvernement servait à réveiller les plus violentes dissidences, parce qu’enfin, à la faveur de cette impuissance universelle, mêlée d’une agitation permanente, le pays glissait, sans le vouloir et sans le savoir, dans une véritable dissolution. Les événemens récens de Valladolid et de la Castille, ces actes de vandalisme dirigés contre la propriété, venaient mettre à nu les progrès de cette anarchie et dégager tous les élémens de la situation de la Péninsule, telle que deux années d’incertitude l’avaient faite. En présence de ces scènes sinistres, il n’y avait plus à hésiter. Le ministre de l’intérieur du dernier cabinet, M. Escosura, avait été envoyé à Valladolid pour étudier les faits, pour en observer les causes, et on attendait son retour pour adopter un ensemble de mesures de gouvernement. Or c’est ici que le drame commence et que les événemens vont se presser. Il est bien clair qu’il y a eu à ce moment une tentative suprême pour profiter de la circonstance et évincer du pouvoir le général O’Donnell. Dès son retour en effet, M. Escosura préparait, sans consulter ses collègues, un projet de décret sur la presse, et dans le préambule il rejetait sur les modérés, sur le parti conservateur tout entier, la responsabilité des scènes de Valladolid. M. Escosura s’exagérait visiblement à lui-même l’importance de son rôle dans la direction de la politique ; en outre son accusation contre les modérés était un trait assez direct contre le général O’Donnell. Aussi le comte de Lucena refusait-il de souscrire aux propositions du ministre de l’intérieur, et dès-lors la rupture était déclarée. La présence simultanée des deux ministres dans le conseil devenait impossible. Ce qui achevait de compliquer la question, c’est que le duc de la Victoire se rangeait du côté de M. Escosura dans ce conflit, qui prenait ainsi le caractère d’une lutte ouverte entre les deux généraux. Espartero voulait que les deux ministres eussent un sort commun, qu’ils se retirassent ensemble, ou qu’ils restassent tous deux au pouvoir. C’est ce qui n’était point du goût d’O’Donnell. Mise en demeure de se prononcer dans un conseil extraordinaire, la reine ne pouvait balancer : elle se montra décidée à soutenir le ministre de la guerre en acceptant la démission de M. Escosura. De là une dissolution complète du cabinet et la retraite d’Espartero lui-même, malgré les pressantes sollicitations qui lui étaient adressées pour qu’il restât à la tête du gouvernement. Le duc de la Victoire pensait-il placer la reine dans une situation embarrassante ? Croyait-il qu’elle n’oserait point confier à un autre