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siècles le secret de la vie confuse des peuples. Dans le passé, du reste, que de révolutions et de luttes, que de caractères et de figures qui se succèdent et passent comme dans un drame toujours renouvelé ! M. Amédée Thierry, dans des études que nos lecteurs connaissent, et dont il rajeunit le succès en les publiant de nouveau sous le titre d’Histoire d’Attila et de ses Successeurs, a peint avec un rare talent une de ces époques marquées d’un sceau caractéristique, un de ces héros qui secouent le monde en le poussant dans quelque voie nouvelle. Le héros, c’est Attila, le conquérant asiatique, le fondateur du premier empire hunnique ; l’époque, c’est le ve siècle. Attila, ainsi que le fait remarquer l’auteur, survient dans une heure de transition, à la limite de deux âges ; il est placé entre l’époque romaine, dont il va hâter la dissolution, et les grands établissemens barbares, dont il marque l’avènement. Initiant la barbarie à une vie jusque-là inconnue pour elle, il prépare les dominations germaniques, qui vont se substituer à la domination romaine. Enfin il pénètre en Europe par ces contrées du Danube où s’est joué si souvent le sort de l’Occident, où une question de civilisation générale s’agitait récemment encore par les armes. Pour le monde d’alors, pour ce monde en possession de la civilisation de Rome, Attila était un ennemi formidable, un dévastateur terrible, foulant sous les pieds de ses chevaux les Gaulés et l’Italie. De là cette singulière diversité dans les souvenirs et les impressions qu’il a laissés au plus profond de la mémoire des peuples. Dans les traditions latines, Attila est le fléau de Dieu, un messie de destruction et de ruine envoyé pour châtier le monde romain perdu de vices ; dans les traditions et les légendes germaniques au contraire, il apparaît presque comme un Charlemagne. C’est à travers cette confusion qu’il fallait ressaisir la vérité, si souvent obscurcie par les historiens eux-mêmes. M. Amédée Thierry a réussi, comme on sait, à rétablir les perspectives, à recomposer la figure de son héros et toute cette vie barbare, si étrange et si puissante, devenue une des sources de la vie moderne. L’œuvre d’Attila d’ailleurs n’a point disparu complètement avec lui. Le troisième empire hunnique, fondé plus tard, mais préparé par son passage, subsiste encore : c’est la Hongrie. Du Danube à la Mer-Caspienne, ces contrées sont pleines des débris dispersés des races qui pénétraient en Europe au ve siècle, et il est curieux de voir comment le souvenir d’Attila a survécu parmi les populations, parmi les Huns d’Europe et les Huns d’Asie. Un voyageur s’arrête dans une pauvre maison en Transylvanie. Sur le mur sont fixées deux images : l’une est celle de Napoléon, l’autre est celle d’Attila. Pour le pauvre Transylvain, Attila est le père, le roi des Magyars. Dans les contrées de la Mer-Caspienne, un autre voyageur, il y a quelques années, entend chanter une légende dans une vallée du Kouban : c’est une légende d’amour qui rappelle encore le nom d’Attila. Ainsi, comme le dit M. Thierry, vient expirer dans un écho lointain le bruit de ces tempêtes qui bouleversèrent l’Europe avant de la transformer, il y a quatorze siècles.

Dans la variété des productions littéraires, il est un genre dont on a trop abusé, et qui conserve néanmoins pour l’imagination une sorte de charme intime et indéfinissable : c’est le roman, le conte, la nouvelle ; en un mot, c’est la fiction à travers laquelle on aperçoit la réalité de la vie humaine. On a