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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/713

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d’Hectal ont reçu tour à tour des blessures mortelles. » Ces noms réveillaient une même quantité de souvenirs chez l’homme d’église et chez l’homme d’épée. Liés intimement avec ces deux morts, ils s’enfoncèrent de nouveau dans le silence et la songerie. Enfin, après avoir trouvé sans doute, dans ces royaumes aimés des ombres, les spectres qu’ils cherchaient, ils semblèrent revenir en même temps à la parole et à la vie.

— Vous les avez vus mourir l’un et l’autre? dit l’officier au prêtre.

— Les ai-je vus mourir, dit celui-ci, tous les deux? Et il appuya sur ces derniers mots : tous les deux? Je n’en sais rien.

Et comme son compagnon le regardait avec étonnement, il ajouta d’une voix très émue : — Ce n’est pas un secret, après tout, que je sois obligé de garder; il ne m’a pas été révélé par la confession, ni par une confidence. Est-ce un secret même? Je ne pourrais le dire, c’est peut-être tout simplement une chimère de mon esprit; mais quoi que ce soit, c’est quelque chose qui m’oppresse.

Alors, questionné par l’officier, dont ce début mystérieux avait singulièrement flatté les goûts, voici à peu près comme il parla :

« Le 16 mai au soir, vers neuf heures, on vint m’avertir que M. de Puymarens était au plus mal. Je courus immédiatement auprès de lui, et je trouvai en effet dans toute sa personne les signes de la mort. Le baron d’Hectal, penché sur son front dans une attitude toute maternelle, lui tenait les mains et lui disait d’une voix entrecoupée quelques mots pleins de tendresse. Quand je parus sur le seuil de la tente, le mourant eut une expression de joie : — Ah ! fit-il, nul ne me manquera de ceux qui pouvaient ici m’adoucir un pareil moment… Après s’être plié avec une soumission reconnaissante aux exigences de notre religion, Renaud, qui, semblable à beaucoup de malades, avait, dans ces soins pour son âme, recouvré un peu de force corporelle, se mit à s’entretenir avec moi. Je tâchais de faire succéder aux paroles consacrées de la prière quelques-unes de ces paroles inattendues pour celui même qui les prononce, que Dieu nous envoie quelquefois en de semblables heures, quand on entendit le garde à vous sonner dans la tranchée, et une fusillade des plus nourries s’établir sur un point assez rapproché de nous. Le colonel d’Hectal devait cette nuit-là tenir deux bataillons prêts à prendre les armes au premier signal. Il s’élança hors de la tente. Au lieu de s’éteindre, la fusillade, à chaque instant, semblait prendre une violence nouvelle.

Le temps s’écoulait, et il se manifesta chez Renaud une agitation croissante que je ne savais comment apaiser. — Mon Dieu ! s’écriait-il avec un accent désolé, où l’on sentait la douleur navrante de l’enfant et du malade, le reverrai-je? Il m’avait donné sa parole