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prêche la parfaite concordance des prophéties et le prochain avènement du millénium. Il y a mieux : toutes ces nouveautés, selon lui, ont un but fort intéressé et très sordide ; c’est un moyen tantôt de soutirer l’argent des fidèles, tantôt d’éveiller l’imagination des femmes ; des pensées de mariage et d’héritage ne sont pas étrangères à ces prédications et à ces exercices religieux. Quelquefois même ces insinuations vont plus loin, et il y a un certain courtier ou commis-voyageur du millénium qui est accusé assez franchement de dol et de fraude.

Nous ne songerions pas à nous étonner de cette amertume, si M. Conybeare avait eu l’intention de démasquer simplement l’hypocrisie ; mais tel n’a pas été son but. La pensée qui semble le préoccuper est celle-ci : ces sortes d’actes font le plus grand tort à l’église, ils engendrent le scepticisme. En vérité M. Conybeare exagère l’influence que peuvent avoir de tels actes. Pas plus que leurs petits ridicules, les petits scandales que peuvent donner les membres d’un clergé quelconque n’ont jamais jeté aucune défaveur sur la religion. Ces défauts, qui tiennent aux convoitises de la chair et aux habitudes de la profession, ne sont appréciables que par des gens très cultivés, sur lesquels ils ne peuvent exercer aucune impression profonde. Jamais un homme éclairé n’est devenu sceptique parce que son curé était un personnage ridicule. Les manières mielleuses de M. Moony ou les manières arrogantes de M. Morgan ne peuvent pas être une cause de scepticisme pour un jeune homme qui a été élevé à Eton et à Oxford. Maintenant, si des vices et des défauts des clergymen mis en scène par le romancier anglican nous passons aux nouveautés qu’ils débitent, nous ne pouvons y apercevoir davantage une source de scepticisme. Ce sont des nouveautés parfaitement insignifiantes pour ceux qui n’ont pas la foi, et assez peu dangereuses pour les fidèles ; ce sont des stimulans plutôt que des dissolvans pour ceux qui ont la foi. Telle explication des prophéties, telle altération de la liturgie serviront bien plutôt à tenir en haleine le zèle des fidèles qu’à les éloigner de l’église. Les croyans que leur répugnance à accepter les explications exégétiques d’un prédicateur du millénium conduiraient à nier la personnalité de Dieu et à accepter le credo de Hegel seraient déjà bien entamés par le scepticisme, et certainement la haute église et la basse église pourraient également se proclamer innocentes en toute confiance. Je sais bien que le spectacle de ces dissidences n’est donné par M. Conybeare que comme une cause seconde d’infidélité ; mais nous croyons qu’il exagère encore. Et d’ailleurs que prouvent ces dissidences, sinon que l’église trouve dans son propre sein l’anarchie morale qu’elle poursuit dans la société, qu’elle est elle-même déchirée, troublée, remplie de scrupules