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rien à dire, ces livres en revanche en disent long. Si vous supposez maintenant que ces sceptiques soient des jeunes gens instruits et difficiles à satisfaire, comme nous le sommes dans la jeunesse, florissans de santé et de force, ayant la morale facile de leur âge, n’ayant d’estime que pour ceux qui les domptent et les convainquent, refusant de se payer de conseils, ennemis instinctifs des sermonneurs, vous ne serez point étonné qu’ils fondent des clubs d’amis de la lumière et de libres penseurs, se nourrissent de philosophie allemande et de morale attrayante, deviennent incrédules et panthéistes. Si le contraire avait lieu, il faudrait plutôt s’en étonner. À qui la faute en tout cela ? Aux incrédules ou à l’église ?

M. Conybeare nous introduit dans le conclave des Amis de la Lumière, et nous fait écouter les conversations qui s’y tiennent. On y lit des essais, on soutient des discussions sur des sujets philosophiques ou religieux à faire crouler les voûtes du vieux collège. L’ennemi s’est introduit dans cette citadelle de l’éducation anglicane, et l’a dépossédé de la plus importante moitié de sa puissance. L’instruction matérielle, l’étude des textes grecs et latins, des faits et des dates, appartient à l’université, mais non pas l’instruction spirituelle, celle qui imprime une fois pour toutes sa direction à l’âme. M. Conybeare exagère de son mieux le danger de cette situation ; cependant il confesse que les doctrines qu’il attribue à ces jeunes gens ne sont acceptées qu’avec hésitation. Ils professent le dogme de la réhabilitation de la chair, et écrivent des essais sur la moralité du plaisir ; cependant, lorsque ces discussions sont soulevées, la moitié de l’assemblée récrimine, proteste, et trouve des doutes à opposer à cette apothéose de la sensualité. À quoi d’ailleurs faut-il attribuer ces théories bizarres ? Sont-elles un effet du pervertissement de l’âme ou un effet du sang ? Et n’est-ce pas à la jeunesse qu’il faut les rapporter plutôt qu’à l’incrédulité de l’esprit ? Ces jeunes gens interprètent à leur manière la morale de Wilhelm Meister, cela est vrai ; mais s’ils ne s’occupaient à ce passe-temps, ils feraient pis peut-être, et au lieu de lire un panégyrique de la chair, ils entonneraient une chanson de corps de garde. Dans tout ce que raconte M. Conybeare de la vie moderne d’Oxford, je vois plutôt des incartades d’enfant émancipé que des tendances positives d’immoralité. Ce sont des boutades du sang, des drôleries philosophiques, où l’envie de s’amuser entre pour moitié au moins. Que le lecteur en juge lui-même. Un jeune homme fraîchement débarqué à Oxford vient par mégarde frapper à la porte des Amis de la Lumière :


« — Nous sommes très heureux de vous voir, monsieur, répondit Archer avec un salut gracieux, en pensant qu’on pouvait tirer de cette méprise un moyen amusant de passer quelques minutes.