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un personnage très vrai, il a réussi à le rendre faux, en attribuant sa conduite à des influences qu’il n’a pu ressentir.

Cette impression équivoque, à demi fausse, à demi vraie, que laisse le caractère d’Archer, est aussi l’impression qui résulte de ce long plaidoyer religieux. L’auteur a mis en lumière une foule de faits vrais et incontestables, dont il a tiré les conclusions les plus inexactes. Avant d’incriminer les incrédules, il aurait pu, en résumant son livre dans une série de questions, se convaincre qu’il s’était chargé de se démentir lui-même. L’incrédulité fait de grands progrès, dit-il ; voyez nos manufactures, voyez nos universités ! Oui, sans doute, mais à qui la faute ? qui en est responsable, en définitive ? Le clergé, répond sans hésiter M. Conybeare ; le clergé, qui est occupé de misérables querelles et qui abandonne la direction des âmes. Alors pourquoi cette croisade contre les incrédules, et pourquoi s’étonner que les âmes aillent là où elles entendent encore une voix humaine ? Cette tendance contemporaine peut paraître funeste à M. Conybeare, et elle l’est sous plus d’un rapport ; mais elle devrait au moins lui apprendre que l’âme humaine n’est incrédule qu’en apparence, qu’elle n’aime pas à rester sans doctrine et sans code moral, et qu’elle répugne à croupir oisive dans la torpeur intellectuelle. Ce que M. Conybeare anathématise sous le nom d’incrédulité est, à tout prendre, une tendance religieuse sous une forme nouvelle, un désir positif du bien moral. C’est une préoccupation plus noble qu’il ne le dit, et qui n’a pas précisément son principe dans cette prédilection pour la morale facile, qui ne peut plaire qu’aux écoliers. Cette préoccupation n’a sa source dans aucun mauvais instinct du cœur, elle a son origine dans l’atmosphère que nous respirons et dans cette multitude de problèmes et de difficultés qu’il n’est pas aisé de résoudre et d’éluder aussi facilement que le croit l’auteur de Perversion. Lorsqu’on ne peut pas résoudre ces difficultés au moyen des évidences de Paley, je ne songe pas à m’étonner qu’on aille s’adresser même à Strauss.

En résumé, ce ne sont pas les incrédules qui sortent le plus maltraités du livre de M. Conybeare, c’est l’église. C’est sur elle que, bien à tort certainement, M. Conybeare fait peser une grande partie de cette lourde responsabilité de l’affaiblissement de la foi. Cette conclusion ressort inévitablement, et en dépit de l’auteur, de ses trois longs volumes. Nous sommes plus charitables et plus tolérans. Hélas ! non, l’église anglicane n’est pas coupable ; elle est aussi innocente du scepticisme et de l’incrédulité que les incrédules et les sceptiques eux-mêmes : le vrai coupable, c’est le souffle du temps.


EMILE MONTEGUT.