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solides. Après avoir, en commençant, fait une part trop large aux compagnies, les Anglais ont été bien vite obligés, malgré leur respect pour le droit individuel, d’accroître l’action de l’autorité. Nous les avons vus, nous les voyons lutter péniblement pour imposer des limitations, jugées de plus en plus indispensables. D’un autre côté, si, dans l’exclusive préoccupation de l’intérêt général, on chargeait une opération de liens trop pesans, si, par une contradiction dont l’histoire de nos propres chemins de fer nous fournit plus d’un exemple, on limitait trop l’arène, on s’exposerait, en détruisant les mobiles de l’action, à étouffer le bien dans son germe. Il suffit que l’état puisse contenir la tendance qui entraîne naturellement tout monopole à exagérer sans cesse les privilèges qui le constituent.

Le moyen de concilier le droit du public et l’intérêt des compagnies réside dans une transaction perpétuelle; mais une sérieuse difficulté, je devrais dire vingt difficultés sérieuses, se présentent dans la pratique. En premier lieu, une partie du public s’aveugle aisément sur ses propres intérêts. Prenez les porteurs d’actions et d’obligations des chemins de fer, vous les trouverez pour la plupart bien plus préoccupés de la hausse ou de la baisse de leurs titres que des graves inconvéniens d’une exploitation vicieuse. Quant aux spéculateurs de profession, dont la tribu s’est agrandie si démesurément sous nos yeux, ils sont encore plus exclusifs dans leurs fiévreuses prétentions. D’un autre côté, les compagnies s’efforcent de faire prévaloir dans l’opinion la pensée qui les anime. Pour assurer le succès de cette pensée, elles possèdent dès qu’elles existent, et même avant d’avoir leur extrait de naissance en règle, de puissans moyens qui échappent à toutes les précautions prises par l’autorité. De plus, elles n’aiment pas le bruit, et elles ne négligent rien pour assoupir les questions autour d’elles.

S’étonner de ces tendances, ce serait en quelque sorte perdre de vue la nature des choses en ce qui concerne le monopole, même lorsque, comme celui des chemins de fer, il est le mieux justifié. Seulement plus on constate l’envahissement de l’intérêt particulier, et plus il y a lieu de s’enquérir des moyens propres à sauvegarder l’intérêt général. Les abus sur les routes ferrées auraient des suites beaucoup plus pernicieuses que dans toute autre entreprise de transport, en raison même de l’importance et de la nature de ce service, qui exclut toute concurrence. Les inconvéniens pourraient rester longtemps inaperçus, car il ne s’agit pas le plus souvent de perdre un bien déjà réalisé, mais de manquer d’acquérir un bien nouveau, ce qui est toujours moins sensible. Au fond, le public a conscience de ces grands intérêts. Le besoin d’éclaircissemens n’éclate-t-il pas dans les plaintes dont nous venons de constater l’existence? C’est qu’en définitive le jour où un individu fait usage des chemins de