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supporter l’énorme poids de ses obligations, que sa prospérité actuelle ne soit troublée par aucun événement imprévu. Il faut se rappeler que l’année 1855 n’est encore qu’une année d’exploitation incomplète, puisque de Lyon à Avignon la ligne n’a été ouverte dans toute son étendue pour les voyageurs que durant huit mois et demi, et seulement durant trois mois et demi pour les marchandises. Cependant les recettes générales ont été de 23 millions de francs pour une dépense de 9 millions, non compris les intérêts des emprunts déjà réalisés et quelques autres frais généraux. En fin de compte, les quatre-vingt-dix mille actionnaires de la compagnie ont reçu 86 fr. pour des titres d’une valeur primitive de 500 fr.

Le cours des actions à la Bourse, conséquence immédiate de la prospérité des compagnies, donne aussi la mesure de leur situation. Or on a vu les actions de la Méditerranée dépasser 1,800 fr., celles du Nord, après le paiement du dividende, se maintenir au-dessus de 1,100 fr., celles d’Orléans ne fléchir que passagèrement au-dessous de 1,400 fr., même sous le coup des désastres produits par les inondations[1]. La valeur des actions des autres lignes est double ou même triple du chiffre de l’émission.

En présence de faits si frappans, nul doute ne saurait subsister sur la question que nous nous sommes posée. Jamais entreprises industrielles et commerciales ne furent dotées d’aussi grands avantages que les compagnies de chemins de fer et ne réalisèrent une fortune aussi éclatante; jamais associations privées n’eurent à un égal degré les moyens d’effectuer toutes les améliorations réclamées par l’intérêt général. Si la prospérité ne devait pas stimuler les compagnies à rendre de plus en plus accessible aux masses l’usage des voies ferrées et favoriser de plus en plus l’expansion des forces locales, les faveurs obtenues ne seraient pas justifiables. De nombreuses fortunes individuelles se sont élevées par suite de ce grand mouvement. Les rois des chemins de fer ne manquent pas plus à Paris qu’à Londres. Les nôtres ont pourtant cet avantage de n’avoir pas vu s’amoindrir autour d’eux le capital engagé dans les voies ferrées; mais, comme à Londres, ils ont eu et ils ont pour vassaux les petits et les moyens spéculateurs. Ils ne comptent leurs valeurs que par millions. Tel qui n’en possède que deux ou trois ne veut pas s’arrêter encore; il le dit hautement : il faut qu’il arrive à cinq ou à six. Toutes ces fortunes ne sont pas également honorables; à côté de celles qui sont le prix d’une initiative féconde, courageusement et laborieusement exercée, il y en a d’autres qui n’ont pour origine

  1. Pour apprécier la plus-value des actions de la compagnie d’Orléans, il faut se rappeler que quelque temps après la grande fusion opérée il y a trois ou quatre ans, les titres furent fractionnés, et il fut donné huit actions nouvelles contre cinq anciennes.