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comme dit le notaire de Mme  de Beauharnais lorsqu’elle vint lui parler de son projet de maringe. Ces relations antérieures furent un malheur pour Ouvrard ; il semble qu’il ne put jamais oublier que Napoléon et lui s’étaient rencontrés dans des positions respectives telles que celui des deux qui excitait l’envie du vulgaire, ce n’était pas Napoléon. Le premier consul aussi avait, par rapport à Ouvrard, la mémoire des mêmes temps. Soit qu’alors l’opulent financier l’eût blessé involontairement ou de propos délibéré, soit qu’il ne jugeât pas à propos d’entretenir des relations un peu étroites avec un homme qui avait été dans la familiarité de Barras, et qui avait vécu comme la mode était de vivre dans ce milieu, soit par tout autre motif, il manifesta aussitôt de l’éloignement pour Ouvrard. Il est permis de penser aussi qu’il était irrité de ce qu’Ouvrard, à qui, à l’avènement du gouvernement consulaire, il avait fait demander de prêter au gouvernement une somme considérable[1], s’y était refusé, d’une manière dédaigneuse peut-être, quoique, selon les propres expressions du financier, la position de ses affaires lui permit d’acquiescer à cette demande. Cependant ce tort d’Ouvrard avait été durement expié : en riposte à son refus, un arrêté consulaire avait modifié d’une façon qui lui était fort préjudiciable un arrêté du directoire réglant comment il serait remboursé d’une somme de 10 millions qu’il avait prêtée au mois de brumaire an vii. Il fut même arrêté quelques jours après, mais, sur les instances de ses amis, relâché presque aussitôt. Sur un pareil début avec le gouvernement consulaire, tout autre se fût rebuté ; mais il semble qu’Ouvrard fût fasciné par le génie de Napoléon, ou bien la passion des affaires l’entraînait avec une force irrésistible. Malgré les rigueurs dont il était l’objet, au lieu de liquider ses entreprises, il les agrandit. Il continua de rechercher de préférence et même exclusivement les opérations avec l’état. Il ne cessait d’adresser des projets au gouvernement, à l’homme qui était le gouvernement à lui tout seul. Traqué, emprisonné, accablé du poids du courroux de l’empereur, dépouillé de sa fortune, il y revenait sans cesse. En 1815, à la bataille suprême, on le voit à cheval au Mont-Saint-Jean aux côtés de l’empereur, auprès de lui encore dans la fuite jusqu’à Paris, comme munitionnaire général et conseiller officieux en matière de finances.

En l’an viii, il s’était chargé de l’approvisionnement de l’armée de réserve qui fit la campagne de Marengo, et malgré beaucoup de difficultés, il s’en était fort bien acquitté. Dans la disette dont fut marqué l’an XI, il se rendit utile par les masses de grains qu’il sut réu-

  1. Ouvrard dit dans ses Mémoires qu’il s’agissait de 12 millions. Mémoires de G.-J. Ouvrard, t. 1er p. 43.