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pérées. Dès lors la faveur d’Ouvrard à Madrid fut sans limites. Il avait déjà fait pressentir ses idées, il les déroula ; il ne s’agissait de rien moins que de régénérer les finances et l’industrie, que dis-je ? la politique même de l’Espagne. Au moyen de cette résurrection, en l’escomptant avec modération, Ouvrard devait être remboursé de tout ce qui était dû à lui-même et au gouvernement français, et il ouvrait à ses entreprises une carrière indéfinie.

Le projet d’Ouvrard était grandiose, d’une exécution fort difficile à quelques égards, mais non pas chimérique. Sur le premier plan figurait une opération fondée sur les trésors que renfermaient les caisses du gouvernement à Mexico et à Lima, mais dont la sortie était empêchée par les croiseurs multipliés et infatigables que le cabinet anglais avait répandus sur les mers dans les parages de l’Amérique espagnole, comme des oiseaux de proie. Un emprunt sur la Hollande, que la perspective de ces richesses métalliques devait faciliter, aurait fourni des ressources immédiates. Un des frères d’Ouvrard, qu’il avait envoyé en 1800 à Mexico pour la rentrée de 4 millions de piastres à lui déléguées par la cour d’Espagne, y avait constaté l’existence d’un grand dépôt de métaux précieux. C’était cet argent et cet or qu’il fallait faire venir, et avec son esprit ingénieux et hardi, Ouvrard en avait trouvé le moyen infaillible et à l’abri de toute mauvaise chance : c’était d’y intéresser le gouvernement anglais, dont l’assentiment pouvait et devait s’obtenir moyennant quelques sacrifices, car l’Angleterre éprouvait alors bien plus que le continent le besoin des métaux retenus par la guerre dans les colonies de l’Espagne. Depuis le mois de février 1797, la banque d’Angleterre avait suspendu ses paiemens en espèces ; la pluie d’or et d’argent qu’Ouvrard allait tenir dans sa main ne pouvait-elle pas soustraire cette grande institution aux dangers de sa position fausse ? L’événement a prouvé que la pensée d’Ouvrard n’avait rien que de réalisable, puisqu’elle a été réalisée par d’autres. Il assure même dans ses Mémoires qu’après un premier refus Pitt avait cédé, et qu’il devait fournir quatre frégates pour le transport[1].

Mais dans les projets d’Ouvrard l’idée de disposer des piastres entassées dans l’Amérique espagnole n’était que la préface. Le financier se proposait d’avoir le commerce de ces contrées avec des pouvoirs tels que les intérêts de ces admirables possessions fussent tous venus aboutir dans sa main. Un acte fut passé en effet, le 26 novembre 1804, par lequel une société était formée entre le financier français M. Ouvrard et sa majesté Charles IV, dénommée en toutes lettres, pour toute la durée de la guerre. La raison sociale était Ou-

  1. Mémoires de C.-J. Ouvrard, t.lern p. 110.