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que les faiseurs de service avaient détourné peut-être plus de 60 millions ; il faut les retrouver[1]. » Napoléon termina en lui disant de lui indiquer quelqu’un qui pût le remplacer à la caisse d’amortissement, dont il allait étendre les attributions ; il voulait en faire le dépôt des contributions étrangères qu’il considérait comme le patrimoine de l’armée. M. Mollien lui amena M. Bérenger, un des hommes les plus éclairés et les plus honorables que le conseil d’état eût dans son sein, et il alla vaquer à ses nouveaux et difficiles devoirs.

III. — M. Mollien ministre du trésor. — liquidation du passé. — création de la caisse de service. — campagne de Prusse.


Telle fut l’issue du grand projet conçu par Ouvrard. Sa fortune y fut engloutie ainsi que celle de ses associés. Quant à l’Espagne, les espérances de régénération dont elle avait été l’objet, et auxquelles son gouvernement se prêtait, se dissipèrent comme une vaine fumée dans les airs, et ici je ne puis retenir l’expression d’un regret. Ce qu’Ouvrard avait tenté tout seul était infiniment au-dessus de ses forces ; mais pour un homme tel que Napoléon, devant lequel tous les obstacles s’effaçaient, le plan d’Ouvrard, quelque immense qu’il fût, n’était pas impossible. Sauf à être remanié par l’esprit éminemment pratique du grand homme, qui était tout aussi habile dans l’administration qu’à la guerre, le plan d’Ouvrard avait de grandes chances de réussite. C’était un bonheur dont il fallait profiter que cet empressement du gouvernement espagnol à venir au-devant des réformes les plus larges. L’Espagne dès-lors eût été irrévocablement entraînée, pour sa gloire et sa prospérité propre, dans l’orbite de la France et de son chef. Cette occasion manquée, Godoy retomba dans sa versatilité, sa bassesse et ses perfidies, le gouvernement castillan dans son impéritie, et l’empereur, poussé à bout, devait bientôt se laisser entraîner par l’indignation et le dégoût jusqu’à des extrémités funestes pour la France et pour lui-même. Je ne cherche point à excuser les procédés par lesquels le ministre du trésor avait été trompé au point qu’il laissât glisser entre ses doigts la somme énorme que nous dirons bientôt ; mais en faisant sien le projet conçu par Ouvrard, l’empereur ne sanctionnait pas les manœuvres que lui ou Desprez s’était permises : tout au plus les couvrait-il de son pardon. C’est le droit des grands hommes de s’approprier les grandes pensées partout où ils les rencontrent ; c’est même leur devoir.

Le premier soin de M. Mollien fut de bien établir la position du trésor vis-à-vis des négocians réunis. M. de Barbé-Marbois croyait n’être en avance que de 73 millions. Après un examen rapide, deux

  1. Mémoires d’un ministre du trésor, t. I, p. 437.