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cultés, excellent à proportionner toujours les moyens au but. Au début de la guerre, avec sa sagacité supérieure, il comprend que pour le moment, la Prusse étant seule dressée contre lui, il n’a qu’à frapper un coup, pourvu qu’il soit terrible, et il fait ses préparatifs comme si la Prusse était toute seule. Il part alors et se précipite avec cette impétuosité par laquelle le prophète Daniel signale Alexandre dans un verset que Bossuet, à son tour, appliquait au grand Condé. D’un bond il est sur son ennemi, le heurte, le terrasse, efferatus est in eum ; mais après la bataille d’Iéna, lorsqu’il est vainqueur, il ne s’aveugle pas sur les effets de sa victoire. Il lui a fallu occuper la longue étendue de la monarchie prussienne, et il prête le flanc du Rhin à la Vistule. Il sait que la Russie approche, que la cour de Vienne fait de grands armémens, que l’Angleterre prépare une descente dans le nord de l’Allemagne, que le roi de Suède est acharné dans son hostilité, et alors, tout vainqueur qu’il est, il semble, dit M. Mollien, ne pouvoir assez accroître ses forces, ni trop multiplier les précautions contre les hasards d’une défaite ; il est devenu aussi prévoyant pour les revers qu’il était confiant la veille dans le succès. On dirait qu’il veut s’entourer de toutes les forces de la France. Au milieu de la Prusse pourtant vaincue, il presse les envois d’hommes, de chevaux, d’artillerie, d’équipages. Dans toutes les places du Rhin, il amasse des approvisionnemens de toute espèce. Le long espace de Mayence à Berlin était déjà, au mois de décembre 1806, plutôt une ligne de bataille qu’une route militaire. Une armée de réserve de cent mille hommes, échelonnée sur l’Elbe, tient en respect les ennemis qui auraient été tentés de se déclarer[1].

Après les dérangemens causés par la reprise des hostilités, M. Mollien revint à l’accomplissement des projets qu’il avait médités. Les bons effets qu’on attendait de la caisse de service fussent restés incertains et sans garanties, si l’on n’eût modifié profondément le système de comptabilité en usage au trésor. En cela, on était dans l’enfance ; on suivait la comptabilité primitive, qui ne connaît que deux comptes, celui des recettes et celui des dépenses, méthode qui convient tout au plus aux opérations parfaitement simples du débitant placé en plein air sous son auvent, pour vendre les denrées usuelles, mais qui, pour un commerçant dont les affaires ont quelque peu d’étendue, est déjà insuffisante et dangereuse, puisqu’elle ne lui permet pas de voir clair dans ses affaires. Pour les finances d’un grand état, qui sont complexes, où les formalités sont multipliées, où les mouvemens de fonds sont nombreux, c’est de la barbarie et du désordre. La constituante, à laquelle il faut remonter

  1. Mémoires d’un Ministre du trésor public, t. II, p. 73.