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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/893

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remords ; mais quel que soit l’événement, le citoyen qui en sa conscience a cru délivrer sa patrie trouvera grâce devant l’histoire. La vie et la mort de Corral étaient également dangereuses pour Walker. Cette exécution militaire, faite avec les simples formalités d’un conseil de guerre (et l’on sait si ces formalités sont expéditives !), excita une indignation profonde parmi les Nicaraguans. Walker s’en émut. Son journal officiel, el Nicaraguense, expliqua inutilement l’affaire et la trahison de Corral. Celui-ci passa pour un martyr de la liberté de sa patrie. Le nombre des gens qui gagnaient la frontière et se réfugiaient sur le territoire de Costa-Rica s’accrut tous les jours. Walker sentit venir la révolte. L’argent commençait à lui manquer. Dès le jour de son arrivée, il avait, avec une prévoyante promptitude, mis la main sur les caisses publiques ; mais ce fonds de réserve s’épuisait. Ses soldats, dont la paie, d’abord considérable, n’était plus assurée, désertaient déjà. Le président de la petite république de Costa-Rica, Raphaël Mora, voyant sa chute prochaine, leva des troupes et menaça la frontière. Walker, poussé à bout, se tira d’affaire par un acte d’audace et un acte d’ingratitude. Il déclara la guerre à Costa-Rica et saisit les steamers de la compagnie de transit qui fait le service de New-York au Nicaragua.

On n’a pas oublié la part que cette compagnie avait prise à son expédition. Elle avait transporté publiquement, et malgré la défense du gouvernement fédéral, des soldats et des armes pour le service de Walker. Ses représentans, traduits pour la forme devant le grand jury de New-York, avaient été unanimement acquittés, et cet acquittement, joint à celui du colonel Kinney de Baltimore, qui eut à se défendre devant le même tribunal du reproche d’avoir violé la neutralité des États-Unis en attaquant un pays allié, n’avait été qu’un encouragement de plus pour Walker et ses amis. Le moment était venu pour la compagnie de recueillir le fruit de ses sacrifices. Elle avait cru s’assurer le monopole du Nicaragua et ruiner, grâce à Walker, la concurrence du chemin de fer de Panama. Les actionnaires s’attendaient à une hausse énorme et à voir doubler leurs dividendes, lorsqu’un décret de l’ingrat Walker détruisit ces illusions, et porta un coup funeste à la prospérité de la compagnie. Walker, à bout de ressources, saisit les steamers qui apportaient à New-York l’or de la Californie. Cet acte de désespoir fit grande sensation aux États-Unis. Ses plus chauds partisans n’osèrent le défendre du titre de flibustier. L’opinion publique, jusque-là indécise ou trompée par ses protestations d’amour de la justice et de la liberté, se tourna contre lui. Les actionnaires, dont les rêves de fortune étaient détruits, jetèrent des cris d’indignation. Il l’avait bien prévu ; mais la nécessité l’entraînait. Cette saisie retardait sa perte au moins de quelques mois, et pouvait même le sauver. D’ailleurs, prêt à jouer sa vie et sa fortune dans une guerre sans issue contre la république de Costa-Rica et les autres états de l’Amérique centrale, il se souciait peu des réclamations de quelques banquiers dont l’avidité trompée n’inspirait aucune compassion aux États-Unis. « Si je suis