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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/897

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pas mieux. Vous croyez toujours entendra la prière du pharisien : Seigneur, abaisse tes regards sur ton serviteur. J’ai pratiqué la justice et l’aumône, j’ai fui l’iniquité. Ce publicain pêche tous les jours contre toi. Le laisseras-tu, Seigneur, entrer avec moi dans ton paradis ? Des deux larrons entre lesquels fut crucifié le Sauveur, l’un était sûrement Anglais, l’autre Yankee. »

Cette boutade nous fit rire. Pour moi, je suis fort éloigné de haïr mon prochain, fût-il pharisien, et je trouve le jugement de l’Espagnol trop sévère. Il faut pardonner quelque chose aux vaincus. Ce qui est vrai, c’est que de gré ou de force les Américains du Nord peupleront et posséderont l’Amérique centrale. Tous les efforts de l’Angleterre et de quelques hommes courageux ne pourront que retarder cet événement. Walker sera chassé sans doute; mais peut-on chasser les marchands, les industriels, les colons? Peut- on arrêter ce flot irrésistible qui pousse les populations de l’Europe vers les États-Unis, et celles des États-Unis vers l’Océan-Pacifique? Le genre humain tourne, comme le globe terrestre, d’orient en occident. C’est un mouvement aussi lent, aussi régulier que celui des astres. Pourquoi le hâter ou le retarder par la violence? Les forces humaines, bornées par leur nature même, ne peuvent vaincre l’invincible Providence. Le but vers lequel nous marchons est inconnu, mais la route est marquée; le chemin que nous avons fait indique assez celui que nous devons faire encore. Si les astronomes calculent la marche des planètes, pourquoi ne calculerions-nous pas celle du genre humain? Toute science repose sur des principes fixes, mais inconnus, et qui ne se laissent découvrir aux hommes qu’après des siècles d’observation patiente et réfléchie.


ALFRED ASSOLLANT.