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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/914

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entre ses mains un pouvoir immense. Matériellement donc, toute résistance a été domptée, la paix est rétablie en Espagne, et le ministère formé par la libre prérogative de la reine, confirmé par la victoire, n’a plus à combattre pour sa propre existence. Ce n’est là cependant qu’un acte de ce drame des crises espagnoles, où l’imprévu joue toujours un si grand rôle. Ici commencent peut-être les difficultés les plus réelles et les plus sérieuses.

Une fois victorieux et maître incontesté du pouvoir, que va faire le ministère à la tête duquel s’est hardiment placé le général O’Donnell ? Tant que la lutte s’est prolongée, il a pu, il a dû même ajourner toute décision jusqu’à la pacification intérieure de l’Espagne. La première condition était d’exister. Aujourd’hui la pacification matérielle est complète. Le moment est venu de professer une politique, de marquer par des actes le vrai caractère du mouvement qui vient de s’accomplir. Jusqu’ici, le cabinet de Madrid ne semble pas bien fixé lui-même sur le système qu’il suivra. Il vit de temporisation, et en attendant, il distribue des grades ou des titres, il nomme des employés. Y a-t-il une pensée politique dans ces choix ? Il serait difficile de le dire. Parmi les fonctionnaires récemment nommés dans diverses administrations, il y a des modérés, des progressistes très avancés, et même des absolutistes. Dans l’ordre diplomatique, M. Olozaga, ambassadeur à Paris, et M. Antonio Gonzales, ministre plénipotentiaire à Londres, ont donné leur démission, et ils ont été remplacés, le premier par le général D. Francisco Serrano, le second par M. Pacheco. Le général Serrano est un personnage fort renommé en Espagne, quoique jeune encore. Après avoir commencé sa carrière militaire dans le corps de carabiniers qui est chargé de la surveillance des douanes, il franchissait rapidement tous les grades, et à la fin de la dernière guerre civile il se trouvait brigadier. Devenu homme politique sous la régence d’Espartero, appelé même un instant à figurer dans un cabinet formé à cette époque par M. Lopez, il prenait une grande part au mouvement qui renversa le duc de la Victoire en 1843. Il fut pendant quelques jours le ministre universel de l’insurrection, et il resta ministre de la guerre pendant quelque temps encore après le dénoûment de cette crise. Depuis cette époque, le général Serrano ne disparaissait pas complètement de la scène, il s’en faut. Il y a deux ans, il se retrouvait avec O’Donnell et les autres généraux qui s’étaient soulevés. Aujourd’hui il est appelé à représenter la reine Isabelle à Paris après avoir été récemment élevé au plus haut grade dans la hiérarchie militaire, à celui de capitaine-général d’armée. Le cabinet de Madrid a du avoir évidemment des raisons particulières pour confier une mission diplomatique de cette importance à un homme que son aptitude ne semblait point désigner à ce poste. Pour peu qu’on observe tous ces choix diplomatiques ou administratifs, il est facile d’y voir la trace d’une certaine hésitation, de certains embarras, de combinaisons plus personnelles que politiques. Par le fait, autant qu’on en peut juger, il y a aujourd’hui deux tendances assez marquées au sein du ministère espa-