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connaissait pas le présent. Elle s’adressait à la foule, et ne savait pas ce que la foule espérait, ce que la foule appelait de ses vœux.

La question de goût a son importance, et mérite l’attention des hommes studieux; mais elle s’efface devant la question philosophique. Nous pouvons aujourd’hui parler de l’école dramatique de la restauration avec un entier désintéressement. Les drames représentés de 1825 à 1848 n’excitent plus ni colère ni engouement. L’évidence nous oblige à dire que si cette école n’a pas réussi, si elle n’a obtenu qu’un succès passager, ce n’est pas seulement parce qu’elle est demeurée infidèle à ses promesses, mais bien aussi et surtout parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’esprit public. Lors même qu’elle eût réalisé toutes ses promesses, il est probable qu’elle n’aurait pas exercé une action puissante sur la foule, car elle ne vivait pas de la vie du pays, et le poète placé dans cette condition doit renoncer à l’espérance de dominer son auditoire. Supérieur à ceux qui l’écoutent par l’imagination, parle maniement du langage, il ne doit jamais oublier que la sympathie vaut mieux que l’étonnement pour fonder sa puissance. Or comment se concilier la sympathie de la foule quand on ignore ou qu’on dédaigne les sentimens qui l’animent? dans l’ordre littéraire, les œuvres dramatiques de la restauration et du règne suivant offrent plus d’attrait, plus d’élégance et de variété que les œuvres dramatiques du siècle dernier; mais elles sont en désaccord avec le développement intellectuel et moral du pays, et ce désaccord suffit pour affirmer que l’avenir ne leur appartient pas. Pour offrir à la foule l’image poétique du passé, la connaissance des événemens accomplis n’est pas la seule condition imposée. La richesse de l’imagination, excellente en elle-même, ne dispense pas le poète d’un devoir plus sérieux que l’étude même de l’histoire, l’étude de son temps. S’il ne partage pas les passions et les espérances de son pays, qu’il renonce au théâtre et donne sa pensée aux lecteurs solitaires. Le théâtre, pour s’animer, veut que la foule entende sur la scène l’écho de sa pensée. Ce qu’elle sent confusément, ce qu’elle ne sait pas définir, que le poète s’applique à l’exprimer sous une forme précise, et non-seulement l’auditoire battra des mains, mais il verra dans son interprète un guide, un conseiller. Maître assuré de sa pensée, qu’il vient d’apercevoir dans toute sa grandeur, dans toute sa pureté, s’admirant à son insu dans l’image que le poète vient de lui présenter, il sentira pour ce révélateur une sympathie ardente, une confiance sans borne, et la popularité ainsi conquise peut se promettre de longs jours. L’école dramatique de la restauration tournait le dos au présent en essayant de deviner le passé; elle ne doit donc pas s’étonner de l’oubli qui envahit ses œuvres : elle a préféré la curiosité à la sympathie. La curiosité,