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Dire que la comédie doit s’inspirer de l’esprit nouveau semble une recommandation superflue, et pourtant, si l’on prend la peine d’étudier avec soin les œuvres qui se produisent sous le nom de comédies, on ne tarde pas à reconnaître que l’esprit nouveau n’y joue pas un grand rôle. Il y a pour le rire comme pour l’étonnement non pas des traditions, mais des recettes consacrées par l’usage. Celui qui refuse de les suivre s’expose aux plus grands dangers. Le moindre malheur qui puisse lui arriver, c’est de n’être pas compris. Quand il s’agit d’égayer le public, les habiles s’appliquent à fuir tout ce qui mériterait le nom de nouveauté. On pourrait citer sans doute quelques esprits hardis qui refusent d’obéir à la loi commune; mais ces esprits, dont j’honore le courage, sont trop peu nombreux pour altérer la physionomie de notre littérature dramatique. Chose étrange et pourtant vraie : la comédie, qui devrait nous offrir l’image de nos mœurs, le tableau fidèle de nos travers, de nos ridicules et de nos vices, effleure à peine les sujets dont l’ensemble forme son domaine ! Pourvu qu’elle se montre spirituelle, l’auditoire n’en demande pas davantage. Ne lui parlez pas de sonder les plaies de la société moderne, c’est une tâche qu’elle s’interdit, ou qu’elle aborde bien rarement. Elle s’est depuis longtemps séparée de la philosophie, et ne rêve rien au-delà de l’amusement. C’est à peine si elle se considère comme faisant partie de la littérature. Elle met en œuvre des idées déjà connues, et s’attache à les présenter sous une forme attrayante sans prétendre à l’honneur de l’invention. S’il lui arrive d’attaquer un vice dont la contagion devient de jour en jour plus effrayante, elle simplifie la lutte qu’elle engage avec une étonnante modestie; elle se croit dispensée de créer des personnages, et prend volontiers les tirades satiriques ou l’épître dialoguée pour une composition dramatique. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’elle jouisse d’une médiocre autorité. Elle ne produit guère sur la scène que des sentimens de seconde main, et quand elle entreprend la défense de la probité contre la corruption, du dévouement contre l’égoïsme, elle confond trop souvent la mémoire avec l’imagination. Au lieu de montrer ce qu’elle a vu, de dire ce qu’elle a entendu, elle groupe en prose ou en alexandrins les mots qui ont déjà fait leur chemin dans les salons ou dans les journaux. La création poétique est un luxe qu’elle abandonne aux esprits novices. L’invention ne promet qu’une gloire douteuse; la mise en œuvre, dégagée des soucis de l’invention, offre des garanties que les praticiens estiment à bon droit, et la recette est si bonne que si la comédie se tait, la production des pièces qui se donnent pour comiques ne s’arrête pas un seul jour.