et les Hongrois. Des paysans voulurent même m’empêcher d’aller plus loin, en me criant que les Hongrois s’avançaient. Au petit bourg de Nadworna, on me confirma la nouvelle du combat de Bistritza. Les Hongrois s’étaient avancés jusqu’à la frontière de Galicie et avaient répandu l’alarme. Toutes les sympathies étaient cependant pour la cause magyare, et j’en recueillais l’expression le long de ma route, bien que plus préoccupé de l’éviter que de la rechercher. Dans un petit village où je m’arrêtai un instant pour changer de chevaux, un jeune Magyar prisonnier se promenait entre deux soldats croates. Les blessures qui décoraient fièrement son visage n’étaient pas encore cicatrisées. Il m’aborda et me reprocha en termes pleins d’emportement, mais en fort bon français, l’abandon dans lequel le gouvernement de la république laissait les malheureux Magyars. Après l’avoir engagé à modérer son exaltation, je lui fis observer que ses deux gardiens commençaient à s’inquiéter de notre entretien, et que je craignais d’attirer sur lui de nouvelles rigueurs. Il me comprit et se retira, mais en me suivant longtemps des yeux.
L’état financier de la Galicie était déplorable. Pendant toute une semaine que je mis à traverser cette grande province, je ne vis d’autres pièces de monnaie d’or ou d’argent que celles que j’avais sur moi, et que l’on regardait comme des curiosités. Les kreutzers même (monnaie de billon) étaient tellement rares, que dans les bureaux de poste les employés ne pouvaient pas toujours m’en rendre quatre sur un florin en papier. Hs avaient adopté, ainsi que tout le commerce en Autriche à cette époque, un moyen sommaire et curieux de faire le change : ils déchiraient un florin en papier en quatre morceaux, et chaque morceau était reçu pour un quart de florin.
Après sept jours de voyage, j’entrai dans la Bukovine, qui faisait partie de la Moldavie avant que la porte eût été contrainte de la céder à l’Autriche et de violer ainsi ses traités avec la Moldavie, ce qu’elle fit d’ailleurs une seconde fois en 1812 pour la Bessarabie en faveur de la Russie. Dans les deux occasions, ce furent des cabinets étrangers ou leurs représentans qui obligèrent la porte à faire ces cessions d’un territoire dont elle n’était que suzeraine, ou qui lui en inspirèrent l’idée. L’hospodar de Moldavie Ghika protesta même formellement contre le morcellement de la principauté et la cession de la Bukovine ; il paya de sa tête son courageux patriotisme. En 1812, le négociateur Mourousi fut aussi décapité pour avoir signé la cession de la Bessarabie. L’un périt pour avoir montré plus d’énergie que son suzerain, l’autre pour avoir trop obéi aux ordres de la Porte, qui voulut couvrir sa faiblesse de la prétendue trahison de son négociateur[1]. La Bukovine a beaucoup plus prospéré que la
- ↑ La cour de Russie, dont la générosité est proverbiale, a comblé la famille Mourousi, et les bienfaits accordés aux fils ont pu faire douter de la fidélité du père à la Porte-Ottomane ; mais l’impartiale histoire dira que Mourousi n’a eu que le tort de ne pas avoir plus de courage et d’audace que son propre gouvernement. La lettre du grand-vizir autorisait même les plénipotentiaires ottomans à céder toute la Moldavie. Une autre grande puissance n’a pas montré la même munificence que la Russie pour un dévouement plus réel que celui de Mourousi, — le dévouement du prince Alexandre Soutzo, décapité à cause de sa fidélité au vainqueur d’Austerlitz et de ses relations avec le général Sébastiani.