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corvéables (clacaches), et ils ont tout l’orgueil que donne la longue possession de la terre. Presque toutes les grandes terres de boyards ont été formées par des achats successifs faits aux mochnénis, et souvent par des usurpations violentes et odieuses, ainsi que cela ne s’est que trop pratiqué, notamment depuis 1843.

Quoi qu’il en soit, les bases de la propriété sont si solides en Valachie et en Moldavie, que l’on voit tous les Serbes qui s’élèvent dans leur propre pays à une belle fortune passer dans les principautés pour acheter des terres plutôt que de les acquérir en Serbie, dans le reste de l’empire ottoman, ou même en Autriche. C’est ce qu’ont fait les Obrenovitch, les Simitch, les Hermanis. Il n’y avait donc pas dans les principautés de modifications profondes à apporter à la propriété pour l’assimiler à ce qu’elle est dans les sociétés modernes de l’Occident ; mais il n’était pas possible de se refuser à améliorer le sort des paysans, surtout après les promesses qui avaient été faites et les concessions qui avaient été accordées, au-delà des Carpathes, aux Roumains de la Transylvanie par le gouvernement autrichien en récompense de l’aide prêtée contre l’insurrection magyare.

Les rapports entre les propriétaires et les paysans qu’il s’agissait de modifier conformément à la clause introduite dans la convention de Balta-Liman avaient été réglés sur des bases assez libérales dès 1746, époque où le paysan valaque fut affranchi de la servitude par le prince Constantin Mavrocordato. Le règlement organique avait développé ces bases, que la commission des réformes avait à réviser :


« Le propriétaire est obligé de donner à chacun des paysans établis sur sa terre : 1o  un emplacement de quatre cents stingènes[1] en pays de plaine, et de trois cents en pays de montagne, pour son habitation, son potager et son enclos ; 2o  des lieux de pacage pour les bœufs ou chevaux et pour une vache, en comptant un demi-pogone[2] pour chaque tête de bétail ; 3o  de plus, et, pour l’usage de ces mêmes bestiaux, trois pogones propres à être fauchés pour les approvisionnemens de l’hiver. 4o  Le paysan reçoit en outre trois pogones de terre propre à être labourée, et qu’il travaille pour son compte. Pour un plus grand nombre de têtes de bétail, comme pour une plus grande étendue de terrain, le paysan est tenu de s’arranger de gré à gré avec le propriétaire.

« Les devoirs du paysan qui aura obtenu la totalité des avantages énumérés ci-dessus sont : 1o  de travailler douze jours de l’année au profit du propriétaire de la terre sur laquelle il est établi, et cela, de sa personne, ou avec sa charrue, son chariot, s’il en a, ou le nombre de bestiaux qu’il

  1. Le stingène de Cherban-Voda est la toise décrétée en 1684 par le prince Cherhan-Kantakouzene ; c’est la mesure légale dont on se sert aujourd’hui en Valachie, et qui équivaut à 1m, 962.
  2. Le pogone vaut 1,296 stingènes carrés Cherban-Voda, ou 49,888 ares.