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puisqu’elles obtiennent le droit de prononcer sur leur avenir, bien que des capitulations et des traités qui lient les principautés à la Porte-Ottomane il ne ressort pas qu’elles aient d’autres privilèges que leur autonomie intérieure, ni qu’il leur soit possible de décider de leur propre sort en dehors des intérêts généraux de l’empire, intérêts auxquels elles ont dû jusqu’ici et à plusieurs reprises leur conservation comme principautés autonomes, bien que vassales et faisant partie intégrante de la Turquie. Examinons cependant les diverses causes qui militent en faveur de la réunion des deux principautés ou contre cette réunion, en faveur de la création d’un état indépendant ou contre l’érection de cet état. Cet examen mettra peut-être le lecteur à même de prononcer un jugement.

La Russie, qui avait habilement tiré parti de la rancune de la Porte contre la France pour se faire céder en 1812 la moitié de la Moldavie, connue sous le nom de Bessarabie, fut la première qui mit en avant l’idée de l’union des principautés, non point comme une chose facile et promptement praticable, mais comme une éventualité souhaitable et naturelle entre deux nationalités de même race, de même religion, et parlant la même langue. Pour parvenir à ce but, les auteurs du double règlement organique avaient alors tous les moyens désirables. Les armées russes occupaient les principautés dès l’année 1828. Les boyards avaient accepté sans la moindre résistance le gouvernement des lieutenans de l’empereur de Russie, et le comte Paul Kisselef, joignant à la puissance de son souverain celle d’un esprit supérieur et l’attrait d’un caractère fait pour plaire et pour commander, pouvait opérer des réformes de nature à préparer l’union et la rendre inévitable au bout de quelques années. Ces réformes devaient tendre à faire disparaître tout ce qu’il y avait de tranché, de séparé, d’étranger, d’une principauté à l’autre. Ainsi d’abord les rangs auraient dû et pu être assimilés ; ils ne le furent point, parce que le nombre des grands boyards étant bien plus nombreux en Moldavie qu’en Valachie, et beaucoup de ces grands boyards étant très pauvres, les Valaques craignirent avec raison de voir une invasion de protipendades[1], affamés d’emplois publics, se ruer sur le pays et leur disputer les places. Cette inégalité dans les rangs dure encore, mais ne paraît plus aujourd’hui un obstacle au cabinet russe. En second lieu, un même uniforme et un même drapeau pouvaient être donnés aux deux milices. L’union des douanes pouvait être établie et les douanes internes abolies. Cette union n’eut lieu qu’en 1846, sous les princes Stourdza et Bibesco. Enfin la condition

  1. Les grands boyards, du temps où la boyarie avait encore son prestige, étaient au nombre de cinq : c’étaient les cinq premiers ou προτοιπενδάδες, protipendades ; depuis, le nombre a fort augmenté, mais un grand boyard a toujours le titre de protipendade.