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Sans doute un homme public dans un pays de publicité, un orateur, un polémiste comme lord Brougham, mêlé depuis cinquante ans aux affaires de sa patrie, à toutes ses réformes petites ou grandes, rapproché des divers partis par les reviremens d’une lutte si longue, est un précieux témoin, un excellent peintre de l’Angleterre. Fût-il quelquefois partial et incomplet, il a et il nous donne l’intelligence de cette vie active et légale où il est né, qu’il n’a cessé de respirer, et sans laquelle il ne concevrait pas la durée de son pays. Et toutefois, il faut l’avouer, ce narrateur indigène, cet historien qui est lui-même une image de ce qu’il décrit et comme un échantillon vivant de son pays, ne doit pas nous rendre moins précieux le témoin étranger, mais parfaitement éclairé, qu’une affinité de sentimens et d’idées, qu’une analogie d’épreuves a familiarisé avec les institutions de l’Angleterre sans l’y assujettir, sans le soumettre au même courant électrique, sans le plonger dans la même atmosphère.

Lisons volontiers jusqu’aux plaidoyers, aux anciens articles de journaux, aux fragmens biographiques du docte lord, pour nous faire une idée juste de la vie politique anglaise. Croyons-le sur Fox, sur Pitt, sur Erskine, sur ces orateurs qu’il entendit dans sa jeunesse, sur ceux qu’il harcelait plus tard de sa vive parole; sachons-lui gré même d’avoir recueilli et commenté la correspondance ministérielle de George III, qui jette tant de jour sur la part d’un roi d’Angleterre dans son gouvernement; consultons-le sur l’histoire secrète de la polémique dans son libre pays, et recherchons avec lui le véritable auteur des Lettres de Junius, ces Provinciales du débat politique. J’admets, je reconnais toute cette variété d’enseignemens utiles et de piquans souvenirs à tirer des écrits de lord Brougham. Je l’honore surtout pour la persistance et les résultats effectifs de son activité polémique. C’est ainsi que, sur tant de questions de pénalité, de législation commune et de garanties libérales, il a bien mérité de son pays et introduit ou provoqué des réformes utiles. Cependant rechercher dans les écrits et les discours de lord Brougham la trace de ce noble emploi de sa vie serait un travail, une longue étude. Je la conçois pour bien des lecteurs anglais et même pour quelques Français méditatifs qui tiennent innocemment à la tradition au moins historique du régime parlementaire; mais pour la curiosité du plus grand nombre, même des plus éclairés, pour tant de Français hommes d’esprit, qui, sans imiter l’Angleterre, veulent intellectuellement la connaître, il faut leur offrir avant tout les Études de M. de Rémusat sur ce pays, études si sensées et si piquantes, dégagées de la controverse sans avoir moins de vivacité, impartiales et spéculatives sans être moins animées, ayant moins de rude franchise et de hardiesse, sans moins de pénétration. Ce