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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/236

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fantaisie exagérée et aucun des pédantismes de la science exacte. Ses habitans du soleil n’ont pas, ainsi que nous l’avons dit, d’autres sens que les nôtres; seulement ils les ont plus raffinés et plus subtils. Ils ont un corps, mais moins opaque, et ils portent des vêtemens; mais ces vêtemens sont en étoffe de neige, en nuages filés, et leurs chemises sont coupées dans cet air tissé dont parle Apulée. Ils mangent, mais des parfums; ils sont occupés et affairés comme les habitans de la terre, mais ils ne se remuent que par sympathie et par bienveillance, et courent après des salaires qui se composent de douces paroles et de tendres sentimens. Leur langage est la musique, leur démarche est une danse comparable à une modulation. L’amour est le sentiment unique d’où découlent à la fois les passions, les mœurs, les formes corporelles et matérielles, la raison d’exister du soleil et de tous les mondes qu’il traîne à sa suite. Cette ingénieuse rêverie platonique abonde en détails charmans, et, ce qui vaut mieux, en sentimens élevés. Non-seulement l’auteur comprend la grâce et la beauté des formes animées, mais il en comprend la vertu et la vérité.

Ce livre est platonique, disons-nous, mais il l’est comme les peintres anglais qui s’intitulent préraphaélites sont disciples de Fra-Angelico et des autres maîtres primitifs. Comme eux, l’auteur voudrait exprimer les sensations matérielles sous les formes les moins corporelles, et les émotions morales sous des formes idéales, mais visibles. De là un effort pour que le symbole soit le moins grossier possible, pour que l’idée perde son caractère abstrait et rayonne d’une subtile lumière, pour que la poésie des émotions sensuelles soit conservée en dehors de la matière qui avait aidé à les créer. En un mot, l’auteur cherche toujours un moyen terme délicat dans lequel les formes puissent dépouiller leur matérialité, et les pensées échapper à leur caractère incorporel. Heliondé méritait donc une mention spéciale pour son élévation de pensée, sa subtilité de méthode, les traditions de platonisme anglican qu’il renferme, et la confiance en la sage disposition des lois du monde sur laquelle ce livre repose. C’est une aimable, c’est une poétique et religieuse rêverie qui était bien digne d’être dédiée à l’illustre savant spiritualiste sir David Brewster, et qui vaut la peine d’être lue par tous ceux qui préfèrent retrouver dans leurs lectures les échos de quelqu’une des grandes voix du monde moral plutôt que des imaginations d’une originalité douteuse et des pensées d’une intérêt contestable.


EMILE MONTEGUT.


V. DE MARS.