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ner à les définir, à nous en rendre un compte exact, les formes de notre esprit et de notre langage, non-seulement limitent notre connaissance, mais presque toujours en altèrent la pureté, et mêlent à notre meilleur savoir quelque élément d’incertitude ou d’obscurité. Les mathématiques elles-mêmes, dans lesquelles on tient qu’il existe des connaissances, surtout des démonstrations, parfaites en soi, ont leurs limites et leurs lacunes, et offrent, jusque dans leurs notions les plus élémentaires, des questions qui ne sont pas encore résolues. Les premières propositions de tout traité de géométrie sont contestées. On sait, pour peu qu’on ait essayé de les vaincre, quelles difficultés présente l’expression juste et précise des premières règles de la logique. Quant à la morale, nous savons que ses principes sont absolus, et nous sommes en possession de beaucoup de maximes excellentes et certaines; mais on n’est pas encore parvenu à identifier les principes et les maximes, et à traduire les premiers dans une expression, ou, comme on dit aujourd’hui, dans une formule acceptée de tous. Les vérités religieuses sont, à ce qu’il semble, plus difficiles encore à bien exprimer, c’est-à-dire à porter à la connaissance humaine sous une forme qui n’en altère en rien l’essence divine. Ce n’est pas seulement parce que, telles que les vérités morales, elles s’adressent au sentiment autant qu’à la pensée, ce n’est pas seulement parce qu’à la différence des notions logiques ou mathématiques, elles concernent des réalités substantielles, non des abstractions, et intéressent l’homme tout entier, c’est aussi à cause de leur nature propre, ou plutôt de celle de leur objet. Même à ne considérer la religion que comme une pure connaissance, notre esprit s’épuise dans l’effort de la rendre, non pas égale, ce serait impossible, mais partiellement semblable à son objet. «Nous n’avons point d’autre idée de Dieu, dit très exactement Bossuet, que celle de la perfection. » Et en parlant ainsi il fait implicitement l’aveu que dès que nous voulons déterminer l’idée de Dieu ou l’idée de la perfection, il naît des difficultés supérieures aux forces de notre esprit. Une inexactitude incorrigible se mêle à nos conceptions et à nos expressions, et nous ne pouvons jamais que nous approcher un peu de la vérité. On appelle dogmes les vérités religieuses déterminées de manière à être connues par l’esprit humain. La connaissance n’en peut être parfaite, c’est-à-dire sans autres limites que celles de son objet même, puisque cet objet aboutit toujours à l’infini; mais il est même bien difficile qu’elle soit, dans ce qu’elle a de mieux déterminé, rigoureusement exempte d’erreur, et que sur la Divinité et les rapports de l’homme avec elle, la plus sublime raison ne contienne absolument que vérité.

Mal définir et mal exprimer les principes de toute religion, en tirer de fausses conséquences ou des conséquences fondées uniquement