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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/24

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nul dessein de mal traduire, ni de mutiler, ni de mal interpréter mes paroles ; mais il se préoccupait d’une seule idée, et d’une idée qui ne suffisait point à l’appréciation de l’événement, ni à la conduite des gouvernemens appelés à en juger. Sir Robert ne savait pas toujours en pareille matière tenir compte de toutes les circonstances du fait, de toutes les chances de l’avenir, et leur faire à toutes, dans son langage comme dans sa pensée, leur place et leur part. Ce tacticien si attentif et si prévoyant dans sa vie parlementaire était, dans les questions de politique extérieure, toujours sensé et honnête, mais quelquefois vague, superficiel et banal.

À propos d’une affaire bien plus grave que celle de Cracovie, la plus grave qui se soit élevée de nos jours entre la France et l’Angleterre, les mariages espagnols, je ne trouve point d’autres paroles publiques de sir Robert Peel que celles-ci, prononcées dans la discussion de l’adresse de la chambre des communes en janvier 1847 : « Je m’abstiendrai de tout ce qui a trait aux mariages espagnols, si ce n’est pour affirmer que le précédent cabinet, pendant qu’il était au pouvoir, n’a jamais fait aucune tentative pour faire obtenir à un prince de la maison de Saxe-Gobourg la main de la reine d’Espagne. » Remarquable exemple de réserve intelligente ! Ne voyant pas clair dans l’affaire des mariages espagnols, sir Robert Peel ne voulait prendre aucune part au débat ; mais il avait soin d’affranchir son cabinet de toute responsabilité quant à la candidature d’un prince de Cobourg, c’est-à-dire quant à la cause qui avait déterminé la solution que cette question avait reçue.

Je ne doute pas que, sous cette réserve, sir Robert Peel ne partageât alors, contre le gouvernement du roi Louis-Philippe, les impressions de méfiance et d’humeur que la conclusion des mariages espagnols avait suscitées en Angleterre. C’était un échec très apparent pour la politique anglaise, plus apparent qu’important, car les causes qui depuis cent cinquante ans avaient porté l’Angleterre à lutter opiniâtrement en Espagne contre la France ne subsistaient plus. L’Espagne, déchue en Europe, chassée d’Amérique, tour à tour en proie à un despotisme apathique ou aux déchiremens révolutionnaires, ne pouvait plus être pour la France un allié puissant, ni pour l’Angleterre un grand danger. Les partis divers, monarchique ou libéral, modéré ou progressiste, dont elles y avaient l’une ou l’autre le patronage, se disputaient le pouvoir sans jamais le fonder, et apportaient à leurs patrons bien moins de force que d’embarras. La royauté espagnole, restaurée en 1814 par l’Angleterre, en 1823 par la France, et soutenue tour à tour dans ses perplexités par l’une ou l’autre des deux puissances, selon que tel ou tel des partis espagnols prévalait dans son gouvernement, n’avait point de résolution