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dans la création, ou tout au moins comme un être surnaturel qui seul a pu être appelé, non sans mystère, mais sans hyperbole, le fils unique de Dieu. On devine quelle multitude de conceptions graduées peuvent s’échelonner entre ces deux termes hétérodoxes, la croyance dans un être si près d’être Dieu, et le respect pour une créature si près d’être un homme. Telle était l’élasticité de la doctrine arienne, qu’elle devait satisfaire les écoles les plus diverses, et qu’elle a réussi à partager le monde. Elle ne s’est éteinte parmi les Grecs qu’à la fin du IVe siècle, et deux cents ans plus tard chez les nations barbares qu’elle avait envahies. À partir de cette époque, on la voit peu reparaître, et pendant huit ou neuf cents ans elle cesse d’agiter la société chrétienne. Peut-être est-elle restée çà et là cachée dans le sein de l’orthodoxie même, et un arianisme involontaire s’est-il mêlé secrètement aux pensées de plus d’un fidèle agenouillé devant la croix ; mais Dieu fait homme est demeuré la croyance de l’église romaine qui longtemps a régné dans l’Occident sans partage, et ce n’est pas pour ravir au rédempteur sa divinité que la réformation s’est séparée de Rome et a divisé la chrétienté.

Sans doute, si l’esprit de la renaissance eût agi seul et si la réformation n’eût été, comme on l’a voulu, qu’un mouvement philosophique et littéraire, la négation d’Arius aurait eu grandes chances de reprendre de l’empire dans le monde. Rien n’est plus facile que de s’y laisser aller, tout en continuant de prononcer les expressions de l’Écriture prises dans un sens spirituel et figuré, et les esprits cultivés du XVIe siècle devaient avoir certaine inclination à platoniser ainsi la mysticité catholique. Érasme est le précurseur de Luther, et on l’ajustement soupçonné de n’avoir pas fait son édition du Nouveau-Testament à la gloire de la Trinité. Il ne s’est défendu de l’hérésie d’Arius qu’en disant qu’elle était morte depuis longtemps : c’est une réponse dans le genre de celle de Locke à la même accusation ; mais on a vainement essayé de la diriger avec succès contre les vrais réformateurs. Ceux-ci portèrent sur d’autres points de l’empire du dogme l’esprit d’agression qui les animait, et ils donnèrent une autre pâture à l’activité et à l’indépendance de la pensée religieuse. Bien qu’on ait voulu trouver dans Luther et dans Calvin un langage équivoque sur la seconde personne divine, le reproche ne s’est pas soutenu, et il est certain que, par leurs confessions de foi, par leurs principaux écrits, par leur enseignement général, les communions protestantes sont demeurées catholiques touchant la divinité du rédempteur. Il y a même dans leur métaphysique particulière sur le péché et la justification, sur le néant des œuvres et le mérite exclusif de la foi en Jésus-Christ, des motifs nouveaux de chercher le médiateur hors de l’humanité. Cependant il était difficile que tous les esprits demeurassent sur ce point seul dans la tradition de Rome.