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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/264

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d’imputer aux écrivains une doctrine qu’ils n’ont pas entrepris de défendre. Cependant, s’il n’a point soutenu thèse contre la divinité de Jésus-Christ, il l’a omise et il a dit en l’omettant que si le Nouveau-Testament contenait des choses qui ne fussent pas dans son livre, ces choses n’étaient pas de celles auxquelles le Christ et les apôtres avaient commandé de croire. La Trinité n’en est donc pas une. La question reste ouverte, de l’aveu même de Locke. D’ailleurs sa correspondance, quelques témoignages contemporains, et les documens publiés par son arrière-neveu, lord Lovelace, ne sauraient laisser de doute sérieux sur la tendance unitairienne de la doctrine religieuse du grand philosophe du dernier siècle.

L’ami de Toland était aussi l’ami de Newton, et c’est à Locke que Newton confia le soin de faire imprimer à l’étranger la dissertation où il attaque l’authenticité de deux passages de l’Écriture cités souvent comme les plus formels à l’appui du dogme orthodoxe de la Trinité[1]. Il est désormais impossible de soutenir l’orthodoxie trinitairienne de Newton. Sir David Brewster, qui l’avait essayé dans un premier ouvrage, se borne à établir dans ses Mémoires sur la vie de Newton qu’il n’était pas socinien. Je crois la distinction exacte. Newton voit dans le Christ le fils de Dieu, il croit à sa résurrection; mais, s’il ne se confesse arien dans aucun de ses ouvrages, on a de lui un manuscrit où il attaque vivement le caractère et la sincérité d’Athanase et prend la défense des empereurs et des évêques protecteurs de l’arianisme. Généralement il se tait sur le dogme de la Trinité, ou ne s’en occupe que pour lui enlever deux textes sacrés. Il veut d’abord publier ce travail, mais sur le continent et en gardant l’anonyme; puis il s’inquiète, et donne contre-ordre à Locke, qu’il avait d’abord chargé de la publication. Pourtant il ne détruit point son œuvre, et l’on ne saurait citer un seul passage où il ait cherché à raffermir par d’autres preuves substituées à celles qu’il avait attaquées le point d’orthodoxie ainsi ébranlé. On montre bien que la prudence extrême qui caractérisait ce grand homme l’a plus d’une fois fait revenir sur ses pas pour détourner de compromettans soupçons. Ainsi il a choisi pour son suppléant à l’université de Cambridge Williams Whiston, qui a imprimé sans détour que l’arianisme était le christianisme primitif; puis, il n’a pas voulu qu’on élût le même Whiston membre de la Société royale des sciences. Cependant Whiston n’a pas admis dans ses mémoires que son hétérodoxie fût pour rien dans cette opposition, et, ainsi que d’autres contemporains, il affirme que Newton ne croyait pas que le fils de Dieu eût préexisté au monde, ce qui est une des formes de la doctrine

  1. I. Jean, V, 7. — I. Tim., III, 16.