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divin comme de la souveraineté du peuple, et qui les pousse tous à la tyrannie. Peu importe que le gouvernement soit tantôt une église, tantôt un palais, tantôt un forum, tantôt un club : cela dépend des temps et des pays. Ce qui est grave, c’est que, devant l’état une fois créé et reconnu, l’individu n’ait plus de droit qu’il puisse revendiquer légitimement. C’en est fait alors de la liberté dans le monde, et non-seulement de la liberté politique, mais de la liberté civile et de la liberté religieuse.

Est-ce à dire que je voulusse, en 1848, anéantir l’idée de l’état, et cela par rancune contre la révolution qui venait d’en changer le titre ? Non, je n’ai peur ni de la république ni d’aucune forme de gouvernement ; je ne redoute que l’idée qu’il y a quelque part ici-bas un pouvoir illimité contre lequel l’individu n’a aucun droit.

La création de l’idée de l’état est une des plus grandes et des plus belles créations de l’histoire, surtout en France, je l’avoue. Tout a concouru à cette création. La féodalité n’est tombée pièce à pièce sous les coups des rois, des communes et des parlemens que pour faire place à l’idée de l’état. Nos grands corps judiciaires n’ont défendu le pouvoir temporel contre les empiétemens du pouvoir spirituel qu’en soutenant et en agrandissant l’idée de l’état. La grande école d’administration qui s’est formée dans le XVIIe siècle n’a travaillé à pacifier le royaume et à donner aux provinces mêmes lois, mêmes règlemens, mêmes usages que pour glorifier l’idée de l’état et en faire sentir les avantages. La révolution de 1789 n’a aboli les barrières qui séparaient les provinces les unes des autres et les privilèges qui distinguaient les citoyens que pour élever l’idée générale de l’état au-dessus de toutes les idées particulières de lieux, de temps et de races. L’égalité et la centralisation enfin, — l’égalité, ce sentiment tout français, qui compense la vanité de chacun par l’envie de tous, — la centralisation, cette idée aussi toute française, qui prend souvent l’uniformité pour l’ordre, ont prévalu partout dans nos mœurs à l’aide de l’idée de l’état, car dans un état bien réglé il est naturel que tous les membres soient égaux entre eux et que toutes les affaires soient expédiées selon la même règle.

Tout en France a donc concouru à l’agrandissement de l’état ; mais cet agrandissement a eu deux momens et même deux principes différens. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’idée de l’état se confond avec la royauté, et le mot de Louis XIV, — l’état c’est moi, — exprime cette théorie. Au XVIIIe siècle, l’idée de l’état commence à se confondre avec l’idée du peuple, et le Contrat social de Rousseau est l’expression la plus forte de cette théorie nouvelle de l’état.

Nous savons par les Mémoires de Saint-Simon jusqu’où alla sous Louis XIV la théorie du pouvoir illimité de l’état, alors que l’état se