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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/288

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de l’esclavage ; il ne prêche point non plus la démocratie, qu’il regarde comme un gouvernement impossible ; il prêche l’aristocratie élective, c’est-à-dire le gouvernement des capables et des censitaires, — je suis bien forcé de l’appeler par son nom. Ceux qui, pendant la révolution et sous la convention, s’inspiraient de Rousseau et croyaient pratiquer ses doctrines, ceux qui voulaient la démocratie absolue dans un grand état et dans une société civilisée, ceux-là se trompaient-ils donc étrangement ? Non, ils ne se trompaient pas ; non, ils n’avaient pas tort de se croire les disciples de Rousseau. Ils n’écoutaient pas, il est vrai, ou ils n’entendaient pas le publiciste dont nous venons d’invoquer la sagesse et le bon sens ; mais ils entendaient et ils appliquaient bien, on est forcé de le reconnaître, le philosophe qui, en appuyant la doctrine de l’état sur la souveraineté du peuple, avait créé la doctrine la plus fatale à la liberté de chacun, sous prétexte de relever la souveraineté de tous.


III.

« Les clauses bien entendues du contrat social se réduisent toutes à une seule, dit Rousseau, savoir l’aliénation totale de chaque associé, avec tous ses droits, à toute la communauté, car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et, la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres… Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivans : — Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale… À l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité, et prend maintenant celui d’état. » Ainsi plus de droit dans l’état que pour l’état ; contre l’état point de droit. « Il est contre la nature du corps politique, dit Rousseau, que le souverain s’impose une loi qu’il ne puisse enfreindre. » Ne demandez donc à l’état ni charte ni constitution que vous puissiez invoquer contre lui ; l’état ne peut pas être lié, car, représentant la volonté générale, il n’y a aucune raison pour que la volonté générale d’aujourd’hui soit liée par la volonté générale d’hier. Tout est juste pour l’état, car c’est lui qui fait la justice. Et que les sujets ne s’avisent point de réclamer des garanties contre le pouvoir de