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soldats. « Ils savent plutôt mourir que vaincre ; qu’ils soient vainqueurs ou vaincus, qu’importe ? La Providence ne sait-elle pas mieux qu’eux ce qu’il leur faut ? » Rousseau est-il le premier qui ait refusé aux chrétiens le mérite d’être de bons soldats ? Non, ces reproches sont aussi vieux que le christianisme. Les païens du temps de saint Augustin disaient aussi que l’Évangile était contraire au courage militaire et condamnait la guerre. « Vous ne devez jamais rendre le mal pour le mal, disaient les païens aux chrétiens. Quand vous êtes frappés sur une joue, vous devez tendre l’autre ; quand on vous prend votre tunique, vous devez donner votre manteau. Comment avec ces maximes avoir des soldats courageux, et comment faire la guerre[1] ? » À ces argumens, qui sont exactement les mêmes que ceux de Rousseau, que répondait saint Augustin ? — Il y a, disait-il, des guerres justes et des guerres injustes. Si l’Évangile condamne les guerres injustes, où est le mal ? Et si l’Évangile veut que les guerres, même celles qui sont justes, soient faites dans un esprit de douceur et d’humanité, selon ce que nous appelons de nos jours les lois de la civilisation, où est le mal encore ? Or, pour être faites dans cet esprit d’humanité, ne faut-il pas qu’elles soient faites par des chrétiens plutôt que par des barbares[2] ? — Il faut donc des soldats chrétiens. « Si l’Évangile condamnait toutes les guerres, il dirait aux soldats de jeter leurs armes et de se dispenser du service militaire. Il leur dit au contraire : Ne frappez personne, ne faites tort à personne ; contentez-vous de votre paie. » Puis, défendant hardiment la guerre, une fois qu’il l’a réglée selon l’esprit du christianisme : « Que reprochez-vous à la guerre ? dit saint Augustin. Le goût du mal, la cruauté de la vengeance, un esprit implacable et altéré de sang, l’ardeur de la révolte, la passion de dominer, voilà ce qu’il faut blâmer dans la guerre, voilà les passions qu’il faut interdire à la guerre ; mais quand la guerre se fait pour punir ces passions elles-mêmes, quand elle se fait par les bons contre les méchans, la guerre est dans l’ordre des choses humaines[3]. » — « Chacun ici-bas a sa mission ; le prêtre prie pour nous contre les ennemis invisibles, et le soldat combat pour nous contre les barbares[4]. » Telle est partout la doctrine de l’église. Le christianisme n’est pas venu détruire les devoirs de la vie civile ; il est venu leur donner une sanction plus haute, et un des articles du concile d’Arles, sous Constantin, exclut de la communion les soldats qui quittent leurs armes même pendant la paix[5]. Non-seulement l’église veut que les chrétiens soient

  1. Lettres de saint Augustin. Voyez la 138e à Marcellin.
  2. « Misericorditer enim, si fieri posset, etiam bella gererentur a bonis. » Ibid.
  3. Contra Faustum, livre XXII, ch. 74.
  4. Lettre 189e.
  5. L’Eglise et l’Empire romain au quatrième siècle, par M. A. de Broglie, t. Ier, p. 287.