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MAURICE DE TREUIL.

— Je désespérais presque de vous voir, dit-elle ; mais entrez, ma tante m’a chargée de l’excuser auprès de vous, elle n’est plus jeune et s’est bravement couchée sans plus attendre.

— Tant mieux, répondit Maurice, qui suivit Laure dans une petite pièce dont l’unique fenêtre donnait sur une terrasse.

Cette pièce, grande au plus comme un boudoir et tapissée en perse, tirait son plus bel ornement de la terrasse, où l’on voyait une profusion extraordinaire de fleurs. Des fils de fer attachés d’un côté à la toiture et de l’autre à la rampe permettaient aux liserons et aux pois de senteur de grimper jusqu’aux ardoises, si bien que, la fenêtre ouverte, on se trouvait dans un cabinet de verdure plein de fraîcheur et de parfums.

Deux ou trois siéges de bois rustique étaient disposés sous l’ombre mobile de ce léger feuillage ; c’était le coin de la rêverie et de l’intimité ; le reste de la terrasse appartenait à la promenade.

Quand Maurice eut pénétré dans le boudoir qui faisait comme une antichambre au balcon, Laure se retourna vivement et porta la lumière du flambeau en plein sur la poitrine du jeune artiste. Une expression de profond désappointement se peignit sur sa physionomie.

— Eh bien ! dit-elle, rien encore ?

— Oh ! si, j’ai la croix, répondit Maurice d’un air tranquille.

Le visage de Laure se colora d’une vive rougeur.

— Et lui qui ne disait rien ! reprit-elle avec un accent de reproche, mais il fallait me le crier du bas de l’escalier !

— Au risque de réveiller tout le monde ?

— Qu’importe ? j’aurais été heureuse cinq minutes plus tôt.

Après avoir rappelé en prose et sans y penser le fameux cri du vieil Horace, Laure courut vers une boîte à ouvrage qu’elle ouvrit. Elle coupa un bout de ruban rouge et le noua avec un geste mignon à la boutonnière de Maurice. Ses doigts tremblaient un peu.

— Là, dit-elle en se reculant pour mieux juger de l’effet, vous êtes superbe !

Maurice prit les deux mains de Laure entre les siennes.

— Ainsi, dit-il, vous aviez pensé…

— Oh ! j’en étais sûre… quelque chose me disait que vous auriez la croix… Vous avez tant de talent !

— Eh bien ! ce quelque chose ne me parlait pas, à moi. Me décorer pour si peu ! Le ministre pousse la munificence jusqu’à la prodigalité. Ce n’est plus une récompense, c’est de la fantaisie.

L’amertume de cette réponse, dont la raillerie, comme une arme à deux tranchans, atteignait à la fois la personnalité même de Maurice et celle du ministre, ne pouvait échapper à Laure.