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Laure regarda Maurice sans parler ; ce n’était pas cela qu’elle attendait, et c’était peut-être plus que cela ; une incroyable émotion lui serrait la gorge et l’empêchait de répondre. Elle craignait d’exprimer trop froidement ou trop vivement ce qu’elle éprouvait, et sentait comme une tempête dans son cœur.

Comme une mer qui s’apaise et s’endort sur le rivage qu’elle a battu, le tumulte de Paris allait s’affaiblissant ; tout à l’heure c’était une rumeur, maintenant ce n’était plus qu’un murmure. Le rossignol ne chantait plus. Il semblait à Laure que cette heure fugitive décidait du reste de sa vie. Du balcon où elle était placée, on voyait une lumière dans l’atelier de Maurice. Au commencement de leur entretien, elle était brillante comme une étoile, et depuis quelques minutes elle s’éteignait lentement avec de brusques réveils. Laure ne pouvait détacher ses yeux de cette clarté mourante. Elle y voyait comme l’image d’une espérance longtemps abritée dans le silence de son cœur. Encore quelques instans, et elle allait disparaître pour toujours. Avec quelle tristesse n’en suivait-elle pas les vacillemens !

Maurice, lui aussi, regardait cette lumière qu’il avait oubliée en sortant de son atelier.

— Voyez-vous cette lampe qui meurt dans la nuit ? dit-il tout à coup à Laure… Comme elle rayonnait tout à l’heure ! À présent elle pâlit, elle va s’éteindre. Si j’étais poète, je vous dirais que c’est là l’image de ma vie. Elle aura brillé une heure, puis elle finira faute d’un peu d’huile,… un peu d’huile couleur d’or !

La lampe jeta un dernier et vif rayon et mourut. L’atelier devint noir. Laure frissonna de la tête aux pieds. Secouant la tête comme s’il avait voulu détourner le cours de ses pensées :

— Savez-vous quel hasard a le plus contribué à me rendre aujourd’hui si morose ? reprit Maurice.

— Non, dit Laure.

— C’est l’enthousiasme d’un imbécile… Vous connaissez M. GCloseau du Tailli ?

— Oui, un peu.

— C’est déjà trop. Il était à la grande cérémonie qui réunissait tant d’artistes et de curieux au Louvre. À l’appel de mon nom, et avant que j’aie pu me mettre en garde contre ses transports, il a ouvert les bras et m’a sauté au cou avec de tels cris et de si bruyans témoignages d’amitié, que mes camarades ont failli éclater de rire. Je l’aurais étranglé de bon cœur.

— On dit en effet qu’il vous aime beaucoup.

— Il m’assassine. Je ne sais d’où cette passion lui est venue. Il grimpe à mon atelier sous mille prétextes,… que dis-je ? sans prétextes même ; il marche dans mon ombre. C’est mon Pylade. Il adore les arts, et il assomme les artistes… C’est une calamité. Ne s’est-il