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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/318

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ah ! dit Laure, M. Closeau du Tailli a ajouté…

— Oh ! mon ami le Mécène de la rue Saint-Lazare est plein d’idées mystérieuses… Il complote quelque scélératesse ; je ne sais pas quel méfait j’ai commis pour mériter sa tendresse : elle m’inquiète, et j’interroge ma conscience dans le silence du cabinet.

Mais Laure ne riait plus.

— Si vous allez chez M. Sorbier, dit-elle, vous m’y trouverez probablement.

— Et que ne disiez-vous cela plus tôt !… je n’aurais pas fait tant de résistance.

— Oh ! reprit Laure avec un accent singulier, il ne faudrait pas que ma présence fût pour rien dans vos résolutions… Si vous ne tenez pas à paraître chez M. Sorbier, ne vous gênez pas pour moi.

— Voyez mon étourderie ! s’écria Maurice, qui suivait sa pensée sans s’arrêter à ce que disait Laure, j’avais complètement oublié que vous étiez l’amie intime de Mlle Sorbier.

— Croyez-vous, Maurice, qu’une riche héritière puisse être l’amie intime d’une pauvre maîtresse de piano comme moi ?

— C’est difficile ; cependant il y a en vous quelque chose de si sympathique, que cette amitié, si invraisemblable qu’elle soit, ne m’étonnerait pas.

— J’y consens donc… Ce qu’il y a de certain, c’est que la famille Sorbier me protège, et que je lui dois, grâce aux leçons qu’elle m’a procurées, une part du bien-être dont je jouis.

— Pauvre petit bien-être !

— Il me suffit.

— Savez-vous, Laure, qu’il y a un grand philosophe sous votre petit bonnet ?

— Je ne sais pas.

— Là, vraiment ! vous vous sentez heureuse ?

— Très heureuse ; je demande à Dieu seulement que ce bonheur continue. Que me manque-t-il ? Comme vous, je suis née dans le luxe ; je l’ai perdu, et sa perte ne m’a point laissé de regrets. Ma tante est bonne ; je suis trop occupée chaque jour pour que l’ennui puisse m’atteindre ; j’ai de bons amis qui m’estiment et qui m’aiment, — vous surtout et M. Philippe ; — j’ai des connaissances qui me protègent à l’occasion ; j’ai de plus une pauvre sainte femme qui n’a plus que moi au monde, et vous ne sauriez croire quelle force on tire de cette pensée, qu’on est indispensable à un être isolé qui souffre et qui attend sa vie et sa consolation de votre courage et de votre travail. Allez, quand je suis seule et que du haut de ce balcon j’abaisse mon regard sur ce Paris, où tant de misère se cache sous tant de splendeur, je remercie Dieu, qui m’a fait une part si large et si belle.