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SIR ROBERT PEEL.

La déclaration du noble lord qui est à la tête du cabinet (lord John Russell) ne m’a laissé aucun doute à cet égard. Il a dit dans ce débat que son noble ami, le secrétaire d’état actuel pour les affaires étrangères, ne voulait pas être ministre d’Autriche, ni de Russie, ni de France, mais ministre d’Angleterre. Qu’est-ce à dire, sinon que le noble lord a voulu mettre en contraste la conduite du ministre actuel des affaires étrangères et celle du comte d’Aberdeen ? C’est-à-dire qu’on me demande de voter un blâme contre la politique du comte d’Aberdeen, contre la politique dont j’étais moi-même responsable ! J’ai été lié avec mon noble ami le comte d’Aberdeen pendant tout le temps qu’il a été ministre des affaires étrangères. J’étais uni à lui en 1830, quand nous déclarâmes que nous avions reconnu la maison d’Orléans, et que nous étions décidés à maintenir avec la France les relations les plus amicales ; je suis resté uni à lui jusqu’au mois de juillet 1846, lorsqu’on déposant le pouvoir devant la majorité de cette chambre, j’annonçai la fin du seul différend qui subsistât encore entre nous et les États-Unis d’Amérique, l’arrangement de l’affaire de l’Orégon. En reportant mes regards sur mes rapports avec mon noble ami, je n’éprouve point d’autres sentimens que ceux d’une cordiale satisfaction. Je ne crois pas que jamais aucun ministre ait été moins disposé à sacrifier l’honneur et les intérêts de ce pays, ni plus sincèrement disposé à maintenir non-seulement la paix, mais les meilleures relations avec tous les pays auxquels l’Angleterre est liée par sa situation ou ses affaires. Je n’ai jamais vu que la chambre ait désapprouvé la politique de mon noble ami… Je lui dois à lui, je dois au parti qui nous a soutenus, je dois à cette chambre, je me dois à moi-même de n’acquiescer à aucun blâme détourné de la politique de mon noble ami, de la politique de la paix d’accord avec l’honneur du pays… Je n’ai pas voulu éluder, par l’absence ou le silence, la difficulté de cette situation. Je proteste contre une résolution dont l’adoption aurait pour effet d’accréditer, sur la dignité et l’honneur de l’Angleterre, des idées fausses, et de poser des principes que vous ne pourriez mettre à exécution sans un imminent danger pour ses plus précieux intérêts. »

L’effet de ce discours fut grand. Jamais, depuis sa sortie des affaires, sir Robert Peel n’avait parlé de la politique extérieure avec autant de développement et de précision. La motion de M. Roebuck n’en fut pas moins adoptée par 310 voix contre 264. C’était pour le cabinet whig une question de vie ou de mort, et sir Robert ne désirait nullement sa chute. Il connaissait trop bien l’incohérence des élémens réunis ce jour-là dans l’opposition : le parti sans chefs, comme on appelait les anciens conservateurs qui avaient M. Disraeli pour organe ; les chefs sans parti, parmi lesquels sir Robert Peel,