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MAURICE DE TREUIL.

lui fit-elle pas, et quelle impertinence dans ce salut ! Les chevaux allaient fort vite, la roue sauta entre deux pavés, et quelques mouches de boue piquèrent la robe de Mme  Sabatier. Ce moment si court, cet éclair, payèrent toutes les longues angoisses d’Agathe et l’exil où elle s’était condamnée à Étampes.

Les jeudis de Mme  Agathe Sorbier avaient un assez grand nombre de fidèles, mais le niveau des habitués ne dépassait pas le niveau de la petite finance, et sauf quelques personnes venues là par raccroc, et qui appartenaient à l’administration, à la politique ou à la haute banque, on n’y rencontrait qu’un cercle de ces inconnus dont les noms n’apprennent rien et qui vont partout. Tout naturellement M. Closeau du Tailli était entré dans l’intimité de la famille. Sophie, élevée dans l’amour de son parrain, le comblait de menus cadeaux, tels que bretelles et bonnets grecs brodés, breloques et pantoufles turques, et prenait des hypothèques sentimentales sur la succession. — Donne toujours, disait le père Sorbier, les souvenirs sont des placemens. — M. Closeau du Tailli laissait faire et ne disait rien.

Telle était la famille dans laquelle M. Closeau du Tailli s’efforçait d’introduire Maurice de Treuil vers la fin du mois de juin 1845.


IV.


Il y a sur les bords de la Seine, entre Rueil et Bougival, sur la lisière de quelques champs de blé, une maisonnette où les canotiers et les artistes vont quelquefois dîner et déjeuner. Deux ou trois petits cabinets de verdure en précèdent la porte, et deux ou trois chambres, très simplement meublées, prêtent l’hospitalité d’une chaise et d’un lit aux personnes que la pluie ou quelque caprice retient au logis.

De cette maisonnette, élevée d’un étage sur rez-de-chaussée et qu’effleure le chemin de halage, on voit les grands bateaux qui montent ou descendent la Seine et les canots qui tirent des bordées devant l’île d’Aligre, derrière laquelle se groupent les toits rouges et bruns du hameau de Croissy. Le paysage est gai, vert et frais. Un cercle de collines boisées l’encadre délicieusement. Rien ne manque à ce coin de terre, ni la grandeur des eaux, ni la grâce des lignes, ni la mystérieuse profondeur de l’ombrage, ni l’animation joyeuse causée par le passage des forts chevaux de trait qu’excitent les cris des mariniers, et le mouvement des nageurs qui vont et viennent à la surface du fleuve, ou se reposent dans l’herbe en fumant. Les soirs d’été, à l’heure où le soleil se couche, et le dimanche, la rive est animée et bruyante ; mais dans la semaine et le matin le paysage est calme et beau comme un site des campagnes d’Italie.

Or, le lendemain du jour où M. Closeau du Tailli avait causé avec